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Enfants et réseaux sociaux, jamais sans filet!

Si les parents sont parfois tentés de bannir l’usage de ces outils pour les plus jeunes, les spécialistes préconisent, eux, un accompagnement pas à pas

Laure Dasinieres @LUppsala

Au Royaume-Uni, la plupart des enfants de 11 ans possèdent déjà un smartphone. En Chine, c’est encore plus tôt puisque 88% des 6-8 ans sont déjà équipés. Et parmi eux, nombreux bravent l’âge minimum requis pour surfer sur les réseaux sociaux. Cette précocité inquiète les parents qui craignent que leur progéniture en use à mauvais escient et s’expose à se mettre en danger. La tentation alors est grande d’opter pour l’interdiction pure et simple de ces outils.

Mais nombre de psychologues et d’éducateurs mettent en garde. «Empêcher les jeunes de se servir d’un smartphone n’est pas quelque chose de positif, c’est même contre-productif», explique Romain Galissot, enseignant spécialisé dans la pédagogie des écrans et du numérique et auteur du Petit Livre pour bien vivre avec les écrans et de Numérique pas bête (Editions Bayard). «De manière très légitime, beaucoup de parents projettent leurs propres peurs sur l’usage des réseaux sociaux par leur progéniture. Ils craignent notamment qu’elle soit victime de prédateurs ou objet de cyberharcèlement. Ils redoutent également l’impact sur le sommeil ainsi que sur la qualité des apprentissages.»

Réconfort bienvenu

A ces peurs somme toute fondées, les enfants et les ados opposent l’exploration d’espaces de socialisation et d’expression où ils peuvent s’épanouir. Dominique-Adèle Cassuto, endocrinologue et autrice du livre Silhouette, mon amie mon ennemie (Ed. Seuil Jeunesse), reconnaît les mérites de ce type d’outils: «Je suis tout sauf contre l’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes: ils y apprennent de nombreuses choses, y développent leur créativité, y trouvent un certain réconfort s’ils rencontrent des difficultés ou se sentent seuls.»

Pour autant, pas question d’être naïf ni de verser dans l’angélisme. Dominique-Adèle Cassuto voit tous les jours dans son cabinet des jeunes qui souffrent d’une mauvaise image corporelle et elle connaît l’influence des réseaux sociaux sur ces troubles. De son côté, Romain Galissot sait parfaitement combien un usage immodéré et irréfléchi de TikTok, Snapchat ou Instagram peut nuire à la scolarité sinon à la santé des enfants et des adolescents. Reste alors à trouver un équilibre, équilibre qui passe par l’accompagnement afin de découvrir progressivement les réseaux sociaux et d’en faire une utilisation réfléchie et positive.

Charge émotionnelle

Alors, comment procéder? Niels Weber, psychologue et psychothérapeute FSP spécialisé dans l’hyperconnectivité pose les bases: «Je conseille en premier lieu aux parents de demander à leur enfant pourquoi il souhaite rejoindre les réseaux sociaux. Cela lui permet d’expliciter le besoin d’être dans la relation sociale et de comprendre que ces réseaux sont un moyen plutôt qu’un but en soi.»

Le spécialiste invite également les parents à recycler un vieux smartphone pour en faire celui de la famille: «Ce smartphone restera dans le salon et tout le monde pourra y accéder. Il pourra être consulté à plusieurs à des fins d’accompagnement avant de laisser le jeune créer son propre compte.» Et une fois l’ado lancé sur les réseaux sociaux, le smartphone commun pourra être utilisé à des fins de discussion sans donner l’impression d’une inquisition mal venue. «Les jeunes ont aussi besoin d’espaces sans adultes», rappelle Romain Galissot.

Ensuite, dès lors que le jeune est actif sur les réseaux sociaux, Niels Weber insiste sur l’importance d’entretenir l’échange: «Il faut demander à son enfant ce qu’il fait en ligne. Il est important que les parents discutent avec lui de ce qui peut le heurter, le choquer, lui faire peur mais aussi le faire rire sur les réseaux. En ouvrant la discussion, en disant «si tu es confronté à un problème, tu peux nous en parler», ils instaurent un espace de gestion de la charge émotionnelle induite par l’usage des réseaux sociaux. C’est aussi un espace où les parents peuvent expliquer, où ils peuvent donner des contre-exemples, etc.»

Parmi ces contre-exemples à présenter, il y a ces comptes Instagram parodiques qui démontent l’image du corps parfait véhiculé par les réseaux sociaux. C’est notamment le cas de la très drôle Celeste Barber qui se met en scène pour tenter de reproduire les clichés les plus glamours ou de @beauty.false qui montre comment sont retouchées les photos publiées sur Instagram.

L’espace de dialogue instauré permet à l’adolescent de s’ouvrir et de se confier sans honte ni culpabilité s’il se retrouve l’objet de critiques, de moqueries, d’insultes ou de harcèlement en ligne – situations qui requièrent de demander de l’aide.

Le rôle des algorithmes

Durant les échanges parents-enfant autour des réseaux sociaux, il est également opportun de discuter de leur fonctionnement. «Il s’agit notamment d’expliquer comment ces médias sont conçus pour nous accaparer le plus de temps possible», conseille Romain Galissot. «Il faut faire comprendre que les algorithmes peuvent créer des bulles de filtre – par exemple, que si le jeune recherche une ou deux fois des contenus relatifs à la minceur ou qu’il les like, il risque de ne voir plus que cela et d’être enfermé dans ce type de contenus», ajoute Dominique-Adèle Cassuto.

La question des conséquences de l’utilisation des réseaux sociaux sur le sommeil et sur la cognition pourra être abordée en gardant en tête que les adolescents, ancrés dans l’immédiateté, sont peu enclins à se préoccuper des risques à long terme. Pour éviter de se retrouver face à un mur, Romain Galissot conseille: «Abordez cet aspect en soulignant comment les réseaux sociaux les rendent immédiatement vulnérables plutôt que de parler des effets néfastes sur les apprentissages.»

Enfin, comme le rappelle Niels Weber: «Les compétences sociales nécessaires à un bon usage des réseaux sociaux ne sont pas si éloignées de celles nécessaires à la vie en présentiel, et il y a un gros travail d’éducation à faire, notamment chez les garçons, pour expliquer que ce que l’on ne dirait pas dans la rue, en public, on ne le dit pas non plus en ligne.» Ici, comme dans d’autres domaines, les parents se réjouissent de marteler les messages de bon sens… ■

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2023-01-07T08:00:00.0000000Z

2023-01-07T08:00:00.0000000Z

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