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Avorter, une question de santé

Cela fait 20 ans que la Suisse a accepté de décriminaliser l’interruption volontaire de grossesse. Santé Sexuelle Suisse estime que nombre de femmes qui y ont recours sont encore stigmatisées

AGATHE SEPPEY @AgatheSeppey

C’était il y a vingt ans jour pour jour. Un dimanche de votation historique pour les organisations féministes, et l’aboutissement de décennies de débats houleux. Le 2 juin 2002, la Suisse exprimait un grand oui, à 72,2% des voix, à la décriminalisation de l’avortement durant les 12 premières semaines de la grossesse. Une décision inscrite depuis dans le Code pénal suisse. Afin de célébrer le jubilé de cette réglementation appelée «régime du délai», Santé Sexuelle Suisse (SSCH), la faîtière des centres de santé sexuelle, prévoit une mobilisation politique et publique ce jeudi à Berne sur la Waisenhausplatz. Mais l’heure ne sera pas qu’à la fête. L’organisation descend dans la rue pour dénoncer un «climat de stigmatisation» et exiger des changements: «Il y a encore aujourd’hui des grandes difficultés d’accès à l’avortement, ainsi que deux initiatives populaires choquantes d’élues UDC qui visent à le compliquer encore», pose Léonore Porchet, présidente de SSCH.

Prises en charge «jugeantes»

Au rang des «obstacles» dressés sur le chemin des interruptions volontaires de grossesse, la conseillère nationale verte dénonce des prises en charge «paternalistes, jugeantes, inacceptables et parfois même dangeureuses» au sein d’hôpitaux ou de cabinets médicaux. Elle mentionne des témoignages de patientes récoltés par SSCH et illustre: «Certains médecins parlent d’enfants au lieu de foetus. D’autres considèrent que c’est une irresponsabilité de la part de la femme d’être tombée enceinte, lui font la leçon, quandplus de la moitié des avortements ont lieu alors qu’une contraception est utilisée par le couple.» Certains professionnels feraient aussi sciemment traîner la procédure, en proposant des rendez-vous proches du délai des 12 semaines pour décourager la patiente ou la pousser à amener à terme une grossesse non désirée. Jacqueline Fellay-Jordan, conseillère en santé sexuelle au centre SIPE en Valais, s’insurge: «Ils veulent être sûrs que la femme «a bien réfléchi», alors que cette dernière l’a déjà énormément fait. Jamais, en 15 ans de métier, je n’ai vu une femme prendre cette décision sans avoir mobilisé ses valeurs, ses possibles et ses projets. Il faut du courage pour interrompre une grossesse.»

Une «question de santé»

Celle qui est aussi coprésidente du comité de Santé Sexuelle Suisse cite encore le cas de professionnels qui manqueraient d’exposer toutes les options possibles – une intervention chirurgicale ou une prise médicamenteuse – aux femmes souhaitant interrompre leur grossesse.

La faîtière estime que les formations spécifiques du personnel hospitalier restent insuffisantes. Et elle rappelle enfin que le coût d’une IVG, certes remboursé par l’assurance de base, peut également être un frein pour des populations jeunes ou à bas seuil qui doivent payer la franchise et la quote-part de l’intervention. Pour Léonore Porchet et SSCH, la «voie à suivre» pour diminuer les difficultés d’accès à l’avortement passerait notamment par un changement législatif. La conseillère nationale vaudoise déposera ce jeudi 2 juin une initiative parlementaire qui vise à supprimer l’avortement du Code pénal suisse. Elle explique: «L’idée est de l’encadrer dans une loi séparée, afin de montrer que ce n’est pas une question pénale, mais une question de santé. C’est d’ailleurs ce que recommande l’Organisation mondiale de la santé.» Jaqueline Fellay-Jordan note: «Ce changement aurait plutôt une teneur morale. La présence de l’avortement dans le Code pénal n’impacte pas vraiment le processus de prise en charge. Mais elle fait perdurer, dans l’imaginaire public, un caractère interdit, illégal.»

Léonore Porchet a appelé ses collègues des Commissions de la santé et des affaires juridiques du Conseil national à signer son texte et comptait mercredi soir environ 25 cosignataires. A-t-elle bon espoir de le voir aboutir? «Quand je vois l’acceptabilité de la thématique par la société et le très faible taux d’avortement en Suisse, l’initiative a ses chances, oui. Reste que, sous la Coupole, l’une ou l’autre commission pourrait manquer de courage devant la fronde des groupes conservateurs.» La politicienne entend déjà les arguments de ces derniers: «Leur crainte est que l’IVG soit pris à la légère, qu’il y ait des avortements jugés «de confort». Mais ça n’existe pas en Suisse. Aucun avortement, après 12 semaines, n’est fait sans raison médicale.»

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2022-06-02T07:00:00.0000000Z

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