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A Londres, pour la dernière représentation de Roger Federer

LAURENT FAVRE, LONDRES @LaurentFavre

Dimanche soir, l’équipe «Monde» a remporté pour la première fois la Laver Cup. Une aubaine pour l’organisateur Roger Federer, mais pas pour l’ancien joueur, battu pour sa dernière sortie. Qu’importe, puisque le résultat est secondaire en sport, a-t-il rappelé

Jusqu’au bout, il s’est passé quelque chose de différent lorsque Roger Federer était sur un court de tennis. C’est désormais du passé mais les images très fortes d’émotion après le dernier point joué, vendredi au terme de la première soirée de la Laver Cup à Londres, vont durablement marquer ceux qui les ont vues et influencer les générations futures. Federer est comme Mozart: lorsqu’il ne joue plus, ses silences se répandent et infusent encore.

La mise en scène de la retraite du plus charismatique des champions de son temps a produit quantité de moments iconiques: l’émotion de Federer, les larmes de Nadal assis à ses côtés, la manière dont les deux anciens rivaux se sont ainsi mis à nu, puis rassurés et mutuellement réconfortés en se prenant par la main comme deux petits écoliers un matin de rentrée. Tout cela fera plus et mieux que n’importe quelle campagne de sensibilisation à la dépression des champions ou à la peur de l’après-carrière pour ébrécher le mythe du sportif invulnérable, imperméable au doute et insensible.

Confiance et liberté

Rafael Nadal a ensuite joint la parole au geste en décrivant en conférence de presse comment Roger Federer et lui étaient devenus proches finalement. «A un moment donné, nous étions probablement les plus grands rivaux, s’est-il souvenu. Avec du respect, nous n’avons jamais eu de gros problèmes, [se tournant vers Federer] non? Mais c’est vrai que notre relation personnelle s’est considérablement nourrie ces dernières années, d’une certaine manière nous comprenons à la fin que nous avons beaucoup de choses en commun. Nous nous parlons très souvent et nous sommes capables de le faire en toute confiance et en toute liberté. C’est quelque chose de très beau.»

C’est Rafael Nadal qui parle, et Roger Federer n’est bien sûr pas le seul joueur à avoir un bon fond. Mais c’est lui, comme souvent, qui parvient à faire sortir cette grandeur. «C’est l’un des plus beaux moments de sport que l’on ait pu vivre en direct ou à la télévision. C’est en tout cas l’un des plus beaux moments que j’aie vécus dans ma vie, ça c’est sûr», a même dit Novak Djokovic, à nouveau relégué au premier rang des viennent-ensuite mais qui sut s’acquitter de son rôle avec une dignité remarquable.

Lui comme Nadal n’aborderont sans doute plus de la même manière le temps qu’il leur reste et la manière dont ils voudront quitter la scène. Peut-être prendront-ils également encore davantage de recul (et il faut l’espérer: une partie du public et des médias avec eux) vis-à-vis des records et de la course au statut de «meilleur joueur de tous les temps». «Une partie importante de ma vie s’en va avec Roger», a dit Nadal vendredi soir, juste avant de repartir à Majorque au chevet de son épouse, sur le point d’accoucher de leur premier enfant. Sans doute la phrase la plus forte entendue cette semaine à Londres. Voici peut-être la dernière leçon léguée par le Maître Federer: passé un certain stade, on ne hiérarchise plus les champions parce que cela revient à classer des émotions.

Beaucoup de flou

Celles du néo-retraité étaient encore bien confuses ce weekend à Londres. Si vous avez lu qu’il comptait se rendre en Australie, commenter Wimbledon sur la BBC, devenir capitaine de Coupe Davis, jouer des matchs exhibitions dans des contrées inconnues ou participer au Tournoi des Légendes sur les épreuves du Grand Chelem, c’est un peu normal parce qu’il a répondu «pourquoi pas…» à toutes les questions et suggestions à propos de son avenir. Seul son programme des prochains jours est arrêté: du repos en famille et du temps pour lire et regarder un peu de tout ce qu’il s’est dit et écrit ces derniers jours.

L’avenir est tout aussi ouvert et flou pour ses entraîneurs. Ivan Ljubicic, Severin Lüthi et Pierre Paganini sont théoriquement «sur le marché». Severin Lüthi conserve sa casquette de capitaine de l’équipe de Suisse de Coupe Davis (que Federer ne convoite pas), il prendra son temps pour y associer peut-être le coaching d’un joueur, qui devrait être une pointure car la science du Bernois est dans le détail. Pierre Paganini, qui aura 65 ans dans deux mois, peut lui aussi prendre sa retraite s’il le désire. Roger Federer lui a déjà fait savoir qu’il souhaitait poursuivre leur collaboration pour se maintenir en forme.

Retraité ou non, le Bâlois a une image à entretenir, donc un corps. Son aura et sa popularité se sont renforcées cette semaine, alors qu’il avait un peu disparu depuis un an. Sa valeur marchande est excellente, peut-être même plus que jamais (d’autant qu’il est désormais plus disponible pour ses sponsors). «The Federer stuffs are gone», ont répété depuis samedi les vendeurs de produits dérivés.

Assez en retrait une fois sa raquette rangée, Roger Federer n’a pu éviter que la question de la permanence de l’épreuve ne se pose. La Laver Cup est un beau produit, mais sans commune mesure avec la marque Federer, son produit phare jusqu’ici. La première victoire dimanche soir de l’équipe «Monde» (13-8), après cinq éditions, est sans doute la meilleure chose qui pouvait arriver à cette compétition.

«Une partie importante de ma vie s’en va avec Roger»

RAFAEL NADAL

Reste la question du tennis en Suisse. Que Stan Wawrinka, demi-finaliste au tournoi ATP 250 de Metz, réussisse sa meilleure semaine depuis son retour ce printemps, au moment même où le monde et plus encore la Suisse sont focalisés sur l’astre Federer, relève presque de la psychanalyse. Il y a le talent à éclipses de Belinda Bencic, et les progrès de Dominic Stricker, en course pour participer au MasterS Next Gen (moins de 21 ans), début novembre à Milan.

L’avenir selon lui

Les médias suisses vont-ils continuer de suivre autant le tennis? Cette question, que l’on nous pose très souvent, nous l’avons posée à Roger Federer. «Je ne sais plus trop comment c’était avant mon arrivée, si vous alliez sur les Grands Chelems ou pas pour suivre Rosset, Hingis et Jakob Hlasek…, a répondu le Bâlois. Un petit pays comme la Suisse ne peut pas tout le temps avoir des grands joueurs. Après toutes ces années de succès, je crois que les gens ont commencé à apprendre le tennis, et il serait sympa de leur montrer les nouveaux joueurs. Vous montreriez également que le tennis est un super sport, avec de belles valeurs.»

Il était 1h15 du matin, et Roger Federer regarda Rafael Nadal. «Finir aux côtés de son plus grand adversaire, c’est vraiment beau, non?»■

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2022-09-26T07:00:00.0000000Z

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