Lisa Cherifi, l’autrice et éditrice qui veut briser les clichés de la littérature jeunesse

«J’ai grandi dans un foyer où les femmes étaient toutes puissantes, sans figure de père. J’avais l’envie d’écrire pour que tous les enfants puissent être représentés» La jeune éditrice et autrice à la tête des Editions Demain tente de lutter contre les di

Sur une terrasse lausannoise, un café à la main. La spontanéité de Lisa Cherifi saute aux oreilles. Avec son phrasé parfait et sa vivacité de jeune entrepreneuse, elle explique le chemin qui l'a menée de responsable de bibliothèque jeunesse à fondatrice d'une maison d'édition suisse inclusive.

Lancées en novembre 2020 à Clarens (VD), Les Editions Demain répondent à une demande précise: lutter contre les clichés dans la littérature jeunesse. A travers des histoires réelles ou inventées, la diversité, la bienveillance, l'éducation positive sont mises en avant. Des valeurs incarnées dans Fabuleuses, le tout premier ouvrage écrit et réalisé par l'autrice et éditrice, paru le 3 novembre dernier. Une histoire pour enfants, mais avec des héros «comme tout le monde» et, surtout, qui ne sont pas intégrés à l'histoire pour justifier une cause.

«J'aimerais modifier l'image des personnages principaux de la littérature jeunesse. Encore aujourd'hui, trop de ces ouvrages sont adressés à une majorité blanche. Les enfants d'autres cultures, souffrant d'un handicap, ou sortant seulement de la norme sont mal ou pas du tout représentés.»

Pas une princesse, du foot!

D'emblée, la jeune femme relate cette injustice au sein des classes, où certains enfants ne se retrouvent pas dans les lectures qu'on leur propose. Une situation qu'elle a elle-même vécue il y a deux ans en tant que responsable de bibliothèque jeunesse: un jour, en faisant la lecture à des enfants, une petite fille s'oppose clairement à l'idée de lire une histoire de princesse. «Elle voulait entendre une histoire sur le foot. Ça m'a fait tilt et m'a convaincue d'écrire ce premier livre.»

Née dans les années 1990, Lisa Cherifi déménage en 2016 en Suisse, à la fin de ses hautes études spécialisées en bibliothéconomie et après y avoir rencontré son binôme et mari, Ilir. Rapidement, elle décroche un poste d'assistante de direction dans une agence immobilière à Lausanne. Mais après un an et demi, la jeune femme se rend compte qu'elle a envie de renouer avec la culture, son terreau de base. Et démissionne. Trois jours après, elle obtient le poste de responsable en bibliothèque jeunesse dans le canton de Vaud. Et décline le CDI qu'on finit par lui proposer afin de se mettre à 100% au lancement des Editions Demain, et à la rédaction de Fabuleuses.

Après une année d'écriture, la question de l'édition se pose. Lisa Cherifi soumet le texte à des maisons d'édition qui lui donnent de bons retours. Sauf qu'après réflexion, elle a déjà fait tout ce qu'un éditeur doit faire: «J'avais écrit, corrigé, illustré et mis en pages le livre. C'était dommage de fournir un ouvrage déjà prêt à l'impression, alors que je pouvais le faire moi-même.» Elle se penche alors sur les contrats entre auteurs et éditeurs et se rend vite compte qu'elle a tout à gagner à s'autoéditer, même si l'aventure s'annonce coûteuse et chronophage. «Il faut vraiment le vouloir, être très organisée. Mais ça vaut la peine. Tout ce projet a pris plus de deux ans.»

Dans l'idée de redéfinir la notion d'«héroïne» et que l'enfant puisse s'y identifier, l'ouvrage raconte quatre histoires vraies revisitées de petites filles qui changent le monde à leur manière. Des femmes que l'on connaît bien, comme Eleanor Roosevelt ou Frida Kahlo. Habillé d'illustrations de l'artiste indien Ghyvari, le livre veut créer un territoire où la dimension de normalité est abolie. La trame est alors pensée non seulement comme un moyen d'évasion, mais aussi comme un moyen d'apprendre à contester stéréotypes et archétypes.

Après avoir récolté plus de 9000 francs grâce à un crowdfunding lancé en juillet passé pour aider à l'impression du livre Fabuleuses, Lisa Cherifi propose dans un premier temps de commander l'objet via le site web de la maison d'édition.

Un exemple fort

Ce premier livre est également une conséquence de son propre vécu: «J'ai grandi dans un foyer où les femmes étaient toutes puissantes, sans figure de père. J'avais l'envie d'écrire pour que tous les enfants puissent être représentés», raconte la jeune entrepreneuse, qui, petite, évolue avec un modèle de femme forte, sa mère. «Dans ma réalité d'enfant, je me souviens avoir pensé que les femmes n'avaient absolument pas besoin des hommes pour avancer, se construire ou mener à bien des projets. C'est ce que ma mère nous a inculqué avec mes soeurs.»

Très spirituelle sans être religieuse, Lisa Cherifi affirme «avoir besoin de se raccrocher à quelque chose». Elle dévore alors des livres de développement personnel ou les textes plus classiques, comme ceux d'Henry James ou du philosophe controversé Alain. Et s'évade lors de nombreux voyages au Maroc, où son mari a lancé il y a peu une entreprise de gaming. Un quotidien fait d'allers et retours entre deux cultures qui ne la gêne pas, au contraire: «Ça colle avec ma personnalité, très dynamique.»

Aujourd'hui, même si sa nouvelle fonction de directrice et éditrice lui offre la possibilité de s'épanouir aux commandes d'un projet créatif et d'apprendre continuellement, ce grand solo lui donne aussi le trac, et du fil à retordre. «Assez anxieuse et perfectionniste», elle admet se poser beaucoup de questions. Mais garde une certitude en tête: «L'approche des Editions Demain, c'est la conviction que tout commence par le choix des mots.»

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