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Helena Macherel et sa flûte enchantée au vent des vignes

La flûtiste et compositrice vaudoise cumule les prix d’interprétation et joue dans des orchestres prestigieux. Elle sera cet été à Vidy et à Verbier

HELENA MACHEREL CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz5

«Quand on partait en voiture, on mettait le «Sacre du printemps» et j’aimais les paysages qui défilaient avec les notes de Stravinski»

Ce lundi de Pentecôte porta bien son nom tant la montée parut raide. Les vignobles en terrasse de Lavaux emmènent si haut que le genou peine. Mais la vue est magique: lac miroitant, ciel bleu pâle et montagnes nébuleuses. «Voyons-nous à Epesses», avait-elle suggéré. Le train pris à Pully où elle habite l’a déposée huit minutes plus tard. Elle aurait pu ensuite poursuivre la promenade les yeux fermés tant elle connaît les lieux, les ruelles étroites, les maisons vigneronnes, les sentes. Petite, elle y allait avec mère, père et frère. Aujourd’hui Helena Macherel y revient sitôt de retour de voyage.

Le double de son âge

«Je me ressource là. Epesses jalonne mon parcours, est comme une ponctuation dans ma vie. Je suis passée ici par tous les états d’esprit, la joie, la tristesse, l’apaisement, les remises en question», résume-t-elle. Il y a peu de temps, elle a marché là avec l’artiste Veronica Kuijken. Toutes deux viennent de sortir un CD titré Du silence au silence. Veronica au piano, Helena à la flûte jouent la Sonate posthume de Maurice Ravel, la Ballade de Franck Martin mais aussi Francis Poulenc et Gabriel Pierné. Lorsqu’elles se sont connues à la Haute Ecole de musique de Lausanne, Veronika avait 30 ans et Helena… 14. Preuve qu’elle fut pour le moins précoce. Elle y côtoyait des gens qui avaient le double de son âge, voilà qui endurcit et fait grandir vite.

Retour en arrière. L’enfance est douce et mélodieuse à Pully. Maman est violoncelliste, papa physiothérapeute et hautboïste, Constantin le grand frère violoncelliste aussi (et célèbre). Si l’on demande à Helena si l’atmosphère était pesante à la maison (la musique classique, c’est certes beau mais un peu barbant quand on a 5 ans), elle répond la bouche en O: «Mais non! Ce fut une chance absolue d’avoir été exposée à cela. Quand on partait en voiture, on mettait le Sacre du printemps et j’aimais les paysages qui défilaient avec les notes de Stravinski.»

«Primitif»

Elle écoute tout, même Anne Sylvestre et Henri Dès. A 6 ans, elle s’essaie à la flûte à bec et joue Vivaldi. L’instrument est joli et sympathique mais la frustre. Son talent naissant mérite mieux. La flûte traversière s’impose naturellement pour interpréter Bach et le baroque qu’elle vénère. Elle apprend à l’Ecole de musique de Pully puis en classe spéciale à Auguste Piccard, gymnase lausannois pour artistes et sportifs d’élite. «La flûte est un bout de roseau. Quand je joue, je sens l’air, chaque élément du vent, c’est au fond assez primitif», décrit-elle.

Helena a 19 ans quand elle gagne le Prix Paul Streit du Concours de Genève et le 1er Prix de l’International Competition Anton Rubinstein à Berlin. Elle s’installe dans la capitale allemande car y enseigne l’une des flûtistes les plus renommées du monde. Le studio qu’elle loue a une vue sur un pan de l’ancien mur, les façades sont toutes graffitées et le quartier est un peu en friche. Bad mood, résume-t-elle. D’autant que la virtuose veut changer la technique de jeu d’Helena qu’elle juge guère orthodoxe.

Helena ne se soumet pas et écourte son séjour. Direction Paris, le Conservatoire de Poissy. Et puis New York et la cultissime Juilliard School à Manhattan. Huit cents étudiants de tous horizons et pays qui étudient la danse, l’art dramatique, la musique. Helena adore l’ouverture d’esprit et cette impression que tout y est possible. «Un soir, je suis allée écouter du jazz au Paris Blues près de Central Park. L’ami qui m’accompagnait a dit au groupe: la fille là est une as de la flûte, elle peut jouer un peu avec vous. Ils ont dit OK et j’ai improvisé avec eux.»

«Carmen» et «Pierrot lunaire»

Retour en Suisse, à Zurich précisément où Helena entame un master en pédagogie car elle souhaite enseigner. «Je veux avoir non pas mille cordes à mon arc mais mille clés à ma flûte», sourit-elle. Elle s’est produite en soliste avec l’Orchestre de chambre de Zurich, l’Orchestre de chambre de Lausanne, l’Orchestre symphonique Danube de Budapest, l’Orchestre de chambre de Belgrade et d’autres. Elle vient d’enregistrer des concertos de Mozart à Londres avec des cadences qu’elle a composées. Un CD va sortir.

Elle travaille avec quatre autres musiciennes sur un Carmen qui sera présenté à Vidy, sur le Pierrot lunaire de Schönberg, prépare un récital avec Veronica Kuijken et la harpiste Tjasha Gafner. Tout juillet, elle jouera au sein du Verbier Festival Orchestra. Quatrevingts musiciens dont quatre flûtistes. Beaucoup de solos sont prévus. Elle y sera très exposée. Dans le même temps, Helena Macherel avoue une obsession pour la physique quantique, écoute beaucoup de conférences à ce sujet, y voit un lien avec ses compositions. Elle se passionne aussi pour la philosophie, a suivi des cours à l’Unil. Un rêve? Devenir cheffe d’orchestre. Elle a commencé à suivre un enseignement à Zurich. La sensation de diriger et de faire de tous les instruments un seul est, paraît-il, extraordinaire.

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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