Le Temps epaper

La fin du secret bancaire vue par Pascal Saint-Amans

Il a incarné la lutte internationale contre la fraude fiscale dès les années 2010. Il raconte dans un livre le passage à l’échange automatique de renseignements et la création d’un impôt minimal pour les multinationales

SÉBASTIEN RUCHE @sebruche EX-RESPONSABLE DE LA FISCALITÉ À L’OCDE * Paradis fiscaux. Comment on a changé le cours de l’histoire, Editions Seuil, 320 pages.

«La Suisse a bien failli gagner la partie.» Le pays aurait été à deux doigts de conserver son secret bancaire au début des années 2010, avance Pascal SaintAmans dans un livre* qui relate sa carrière de pourfendeur des paradis fiscaux. L’ancien responsable de la fiscalité à l’OCDE, dorénavant professeur de politique fiscale à l’Université de Lausanne, y détaille les combats, stratégies et coups de théâtre qui ont marqué ses quinze ans de lutte contre la fraude fiscale. Un long chemin vu comme un jeu de patience, dans lequel chaque succès permet de s’engager vers un niveau plus dur, plus rapide, plus dangereux, pour aboutir à l’instauration de l’échange automatique de renseignements et d’un impôt minimum de 15% pour les grandes entreprises internationales. Un jeu dans lequel la victoire contre le secret bancaire a constitué un jalon déterminant. Qui aurait pu ne jamais se produire.

Convaincre ses interlocuteurs que le monde a changé. Ce fut le sacerdoce de Pascal Saint-Amans pendant ses quinze ans au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), devenue la figure de proue d’un mouvement mondial contre la fraude fiscale après la crise financière de 2008. Entretenir la flamme, nouer des alliances, dissoudre les points de résistance a été le quotidien du quinquagénaire français, énarque – il préfère le mot de «fonctionnaire», précisant même «de gauche» – et devenu par la force des choses l’un des meilleurs clients d’Air France à partir de 2010.

Restreindre l’échange d’informations

Selon lui, l’administration suisse avait compris que la pression internationale était inéluctable et le statu quo, intenable. Il s’est ensuivi une course contre la montre, entre l’OCDE qui poussait pour l’échange automatique et la «mère patrie du secret bancaire» qui voulait restreindre autant que possible l’échange de données mais sans retourner sur une liste des moutons noirs de la fiscalité. Avec un atout machiavélique dans son jeu: le projet Rubik.

Cette stratégie portée par la place financière consistait à collecter l’impôt évité dans les autres Etats et leur remettre, en échange du maintien du secret bancaire en Suisse. Cette «arme magique» avait déjà séduit l’Autriche lorsque le Royaume-Uni signa à son tour un accord, à l’automne 2011. Le diplomate Michael Ambühl négociait alors avec l’Allemagne et des pays «budgétairement fragiles» – Italie, Grèce, France – et d’autres pays du G20. Les émissaires suisses proposaient même de payer un ou deux ans d’impôt en avance en cash – un argument de poids pour des pays dont les finances publiques sont durement frappées par la crise. Rome serait sur le point d’accepter les millions suisses, apprend alors l’auteur, par un ami italien, car Berne a affirmé que les négociations avec la France avaient repris après l’élection de François Hollande à la présidence. Si la France accepte, l’Italie suivra.

Saint-Amans contre-attaque en multipliant les rapports – spécialité de l’OCDE – qui tressent les louanges de l’échange automatique, et en facilitant la mise en oeuvre de Fatca, le programme américain qui oblige les banques du monde entier à transmettre à Washington des informations sur leurs clients américains. Un modèle pour l’échange automatique en gestation à l’époque. Le responsable du dossier fiscal à l’OCDE sollicite discrètement la presse pour qu’elle pose les bonnes questions. Puis apprend que la France ne présente plus de risque et que l’Italie ne signera pas Rubik. L’Allemagne renoncera également, tandis que Londres opte pour l’option fromage et dessert, encaissant le cash suisse (la somme prévue était de 500 millions d’euros), tout en s’engageant vers l’échange automatique.

L’effet Cahuzac

Pascal Saint-Amans ne sait pas exactement ce qui a fait pencher la balance. Mais il n’exclut pas que Rubik et le secret bancaire aient péri à la suite de l’affaire Cahuzac (le ministre français du Budget qui avait de l’argent caché à la banque Reyl) et aux multiples «leaks» publiés par la presse internationale durant ces années. La mise sur pied d’un impôt minimum mondial pour les multinationales – objet de votation le 18 juin – est une suite logique de cette victoire, et un chantier encore plus complexe, également décrit dans le livre.

Economie & Finance

fr-ch

2023-06-06T07:00:00.0000000Z

2023-06-06T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281767043616054

Le Temps SA