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Esprit de Heinrich Nestle es-tu là?

Quel est l’impact de l’immigration sur le PIB? Poser cette question équivaut à ouvrir une petite boîte de Pandore tant il est difficile d’y apporter une réponse définitive. En 2015, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) s’était essayé à cerner l’impact de l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes. Avec une réponse désarçonnante: les experts fédéraux avaient estimé que l’immigration avait «certainement» eu un impact positif sur la croissance, lequel ne devait pas être «surestimé», d’«autres facteurs» entrant en ligne de compte.

Une conclusion plus tranchée n’aurait certainement pas été de trop pour les conseillers aux Etats, qui ont accepté lundi d’entrer en matière sur une controversée modification de la loi sur l’intégration des étrangers. Basée sur une motion du libéral-radical Marcel Dobler, l’adaptation vise à permettre aux diplômés des hautes écoles d’origine étrangère de rester en Suisse. Dans son application, le Conseil fédéral en a un peu dénaturé l’esprit, proposant de se limiter aux personnes dont la formation présente un «intérêt scientifique ou économique prépondérant». En creux, un futur Einstein ou un Elon Musk en devenir.

A quatre mois des élections fédérales, l’objet a curieusement divisé le PLR, traditionnel relais des milieux économiques, ce, notamment pour des motifs de conformité constitutionnelle. Pendant que les entreprises crient leur soif de talents, l’ombre de l’acceptation en 2014 de l’initiative «Contre l’immigration de masse» plane toujours sur la Berne fédérale.

Du lait maternisé, des pylônes et des montres bon marché

Si les chiffres manquent pour quantifier l’apport de la main-d’oeuvre étrangère à la prospérité de la Suisse, il n’y a qu’à plonger dans son histoire économique pour en mesurer l’empreinte. En s’intéressant pour commencer à l’une des plus grandes multinationales du pays, Nestlé, créée à la fin du XIXe siècle par le pharmacien allemand Heinrich Nestle tombé amoureux du Léman et des vaches helvétiques.

Selon la légende, elles l’inspirèrent pour mettre au point son fameux lait maternisé. Si l’accouchement s’est révélé laborieux, le succès a rapidement pris une tournure planétaire. Tout comme celui, de l’autre côté de la Sarine, de la société Brown Boveri. Fondée à Baden par deux ingénieurs, l’un Allemand, l’autre d’origine anglaise, qui aspiraient à électrifier le pays. Des décennies et une fusion plus tard, la société ABB emploie près de 150 000 personnes dans le monde.

Un nombre certainement inférieur à celui des Italiens, Espagnols et autres Portugais venus en Suisse pour percer des tunnels, construire des barrages ou poser délicatement des aiguilles de montre. L’horlogerie… Voici d’ailleurs un autre exemple éloquent qui rappelle ce que le berceau mondial des garde-temps doit à l’immigration. Si un certain Nicolas Hayek, d’origine libanaise, n’a pas formellement inventé la Swatch, il a su percevoir son potentiel et l’exploiter dans les années 1980, sortant au passage l’horlogerie helvétique de l’ornière.

Vers une Suisse plus accueillante?

Aujourd’hui, le secteur technologique crie famine. A nouveau, impossible d’obtenir des données précises mais il suffit de penser à des start-up telles que Sophia Genetics (diagnostics de précision), fondée par le Basque Jurgi Camblong, Kandou (microélectronique), lancée par l’Iranien Amin Shokrollahi ou encore Tyre Recycling Solutions (valorisation des pneus usés) mise en orbite par un Suédois d’origine Staffan Ahlgren. Sans oublier la Canadienne Samantha Anderson qui ambitionne, avec DePoly, de révolutionner le recyclage du PET. Son pays natal privilégie d’ailleurs ouvertement depuis une quinzaine d’années l’économie dans sa politique migratoire.

Alors que des pans entiers de l’économie manquent de bras et de cerveaux, la Confédération pourrait bien, elle aussi, devoir se montrer plus accueillante durant la prochaine décennie. Si c’est le cas, cela signifiera que la conjoncture aura résisté aux vents contraires. Et si l’impact de la migration peine à se laisser enfermer dans des chiffres, il ne semble pas aussi négatif que certains le pensent. Il y a 2 ans, une étude publiée dans l’American Economic Review par des chercheurs de l’institut KOF, s’est concentrée sur les régions frontalières du pays et est arrivée à une conclusion surprenante: la concurrence de la maind’oeuvre qualifiée n’a pas porté préjudice aux travailleurs suisses. Bien au contraire puisqu’une hausse de 5% des salaires a été observée.

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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