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Etre imam en Suisse: Zurich lance un projet de formation inédit

ZURICH Le grand canton alémanique mène un projet pilote afin d’approfondir les compétences de ceux qui dirigent la prière dans les mosquées. L’exercice a notamment pour but de «contribuer à l’intégration et à la participation des musulmans»

BORIS BUSSLINGER, ZURICH @BorisBusslinger

«Pourquoi je veux travailler avec des jeunes? Et pourquoi c’est important pour la société?» Dans une salle de conférences du centre-ville de Zurich, une quinzaine de participants se creusent la tête pour répondre à la question du formateur, Giacomo Dallo. Directeur d’OJA, une association d’animation socioculturelle pour les jeunes, celui-ci fait ce lundi face à un public un peu particulier, entièrement constitué d’imams et de «personnel d’encadrement musulman».

Tous volontaires, ces derniers participent à une formation de huit jours (répartis sur plusieurs mois) spécialement pensée pour eux, et destinée à approfondir la connaissance de leur pays d’accueil. Un exercice unique en Suisse qui permet de satisfaire le besoin d’enseignement d’une communauté qui a soif d’apprendre, tout en offrant à Zurich la possibilité de mieux cerner les 100 000 musulmans hébergés sur son territoire (un quart de la communauté suisse).

«L’intégration, dit Giacomo Dallo. C’est quand chacun fait un pas vers l’autre et en ressort transformé.» Une définition qui ne ferait pas l’unanimité au sein de certains partis suisses, mais qui s’applique bien dans le cadre du projet pilote «Zürich-Kompetenz», dont participants et autorités saluent aujourd’hui largement les bénéfices multilatéraux.

«Eviter les structures parallèles»

Le décor n’était pourtant pas des plus propices à Zurich (canton), terre d’accueil de la fameuse mosquée An’Nur de Winterthour, dont une dizaine de membres ont été condamnés entre 2018 et 2021 pour des faits de «contrainte, menace et séquestration» – ou tout simplement expulsés – dans une polémique médiatique qui a joué le rôle d’électrochoc.

«Ce n’est pas directement à cause du cas An’Nur que la formation a été lancée, mais cet événement parmi d’autres a certainement montré qu’un besoin existait en la matière», confirme Myrta Grubenmann, collaboratrice scientifique au canton de Zurich. En 2019, une étude commandée par ses autorités indique que la communauté musulmane zurichoise est elle aussi intéressée par davantage d’encadrement: le projet est lancé. Mené par le Centre suisse islam et société (CSIS) de l’Université de Fribourg sur mandat du Conseil d’Etat zurichois en collaboration avec l’association faîtière des organisations islamiques de Zurich (VIOZ), il poursuit trois buts: «Développer le nombre d’interlocuteurs compétents, empêcher la création de structures parallèles et encourager le dialogue avec les participants au-delà de la durée du projet.»

En 2022, 14 hommes et 5 femmes ont complété la formation. En 2023, huit femmes et cinq hommes leur ont emboîté le pas. Parmi eux Lusiana, membre de la direction de Percikan Iman, association de musulmans suisses d’Asie du Sud-Est. «Je suis ici pour développer mon réseau, dit cette native d’Indonésie. Et pour m’améliorer dans mon travail de tous les jours, au sein de ma communauté comme en lien avec les institutions zurichoises.» Assis à côté d’elle, Alili Ismaïlj, imam à Winterthour, opine. «Ce que nous apprenons ici est important, dit-il. Dans notre rôle d’imam, mais aussi pour développer un lien de confiance avec le canton.» Albanophone installé en Suisse depuis de nombreuses années, il salue la présence de journalistes à l’événement, «afin de montrer au reste du monde que notre communauté se bouge». Il faut dire qu’en Suisse, cette dernière est encore peu connue.

«Montrer aux participants qu’ils font partie de la société»

«L’islam n’est pas officiellement reconnu dans le pays, rappelle Abduselam Halilovic, représentant de la VIOZ. Il n’y a pas d’institut de formation des imams, qui sont tous instruits à l’étranger et ne sont pas toujours bien informés quand ils arrivent ici, ni vraiment de statistiques précises. D’où l’importance d’un tel cours, pour les participants comme pour les autorités. S’il ne s’agit pas que de combattre ce phénomène, ce type de formation est également primordial pour enrayer la radicalisation, qui se base toujours sur l’idée que la société dans laquelle vous vivez ne s’intéresse pas à vous, vous rejette.

On montre ici au contraire aux participants qu’ils font partie de la société suisse, que leur rôle est valorisé et important. C’est un grand pas en avant.»

Malgré un système d’inscription 100% volontaire, le canton de Zurich indique avoir jusqu’ici pu atteindre le public ciblé par le projet pilote: les imams, les théologues et les représentants d’associations musulmanes. «Nous avons même reçu des demandes en provenance d’autres cantons, précise Abduselam Halilovic. Que nous avons évidemment dû refuser.» Financé pour deux ans à hauteur de 407 000 francs par le fonds d’intérêt public du canton (non soumis aux référendums), le projet pilote fera l’objet d’un rapport en fin d’année, avant d’être réévalué. S’il s’agit du seul projet cantonal de la sorte, la formation continue des représentants musulmans connaît actuellement un développement important en Suisse. En 2022, 65 imams participaient ainsi à Fribourg à un cours d’intégration de l’islam dans le paysage social et religieux du pays. Organisé à leur demande, le cours réunissait plus de la moitié des imams actifs du pays.

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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