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Les pro-Européens, incapables d’unir leurs forces, se font la guerre

Alors que le Conseil fédéral a décidé de ne pas bouger avant les élections fédérales sur la question européenne, les partisans d’un accord-cadre avec l’UE se déchirent sur l’opportunité de lancer une initiative

MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaume

C’est l’histoire d’une guéguerre dont les milieux pro-européens auraient pu se passer. Vendredi dernier, les deux membres du comité du Mouvement européen suisse (MES) Eric Nussbaumer et Roland Fischer ont évoqué l’idée d’une nouvelle initiative pour favoriser la conclusion d’un accord-cadre institutionnel avec l’UE. De leur côté, le mouvement citoyen Opération Libero et Les Vert·e·s attendent encore le feu vert de la Chancellerie fédérale pour lancer la leur. «Nous ne pouvons pas nous laisser freiner dans cette démarche beaucoup plus longtemps», déclare le coprésident d’Opération Libero Stefan Manser-Egli.

Plus de deux ans après l’abandon du projet d’accord-cadre par le Conseil fédéral, le dossier n’a guère progressé, même si le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, se plaît à répéter depuis quelques mois que «la dynamique est positive». En février 2022, le gouvernement a certes renoué un «dialogue politique» avec Bruxelles, cela sous la forme d’entretiens exploratoires. Mais après une dizaine d’échanges, cette phase n’est toujours pas achevée, alors qu’on s’attendait à ce qu’elle le soit en ce mois de juin.

Et la démission de la négociatrice en chef Livia Leu, qui reprend le poste d’ambassadrice de Suisse en Allemagne, n’arrange pas les choses. Lors de sa dernière visite à Bruxelles, c’est par l’UE que l’on a appris que la Suisse avait demandé un délai supplémentaire à fin octobre pour clore cette phase, qui devrait déboucher sur un mandat de négociation. Tout le monde a alors compris que le Conseil fédéral ne voulait pas que le débat européen s’invite dans la campagne des élections fédérales.

Dans ce contexte de permanentes tergiversations, les pro-européens semblent incapables d’unir leurs forces. Le 2 juin dernier, deux dirigeants du MES faisaient parvenir aux médias un nouveau projet d’initiative, qui compléterait ainsi l’article 54 de la Constitution: «La Confédération participe activement au processus d’intégration européenne.» «Ce n’est pas encore une initiative, mais une simple proposition», insiste Eric Nussbaumer, le président du Mouvement européen suisse. Dans la foulée, celui-ci déplore les défauts de l’initiative d’Opération Libero et des Vert·e·s. «Leur texte s’inscrit trop en opposition au Conseil fédéral et entre trop dans les détails. Il est incapable d’unir tous les milieux pro-européens de Suisse».

Consternation

Du côté des initiants de la première heure, c’est un peu la consternation, même si personne ne l’exprime ainsi. «Nous discutons depuis près de trois ans avec le MES et jusqu’à présent, celui-ci n’était pas très favorable au lancement d’une initiative. Qu’il le soit désormais nous réjouit, réagit diplomatiquement le président d’Opération Libero Stefan Manser-Egli. Nous espérons toujours que le MES se ralliera à notre texte.»

Par ailleurs, celui-ci n’est pas aussi différent que les propos des dirigeants du MES pourraient le supposer, la première phrase étant quasiment la même. Mais ensuite il précise que «la Confédération promeut la paix, la liberté, la démocratie, la prospérité, le développement durable, ainsi que la protection commune des droits humains». Actuellement, il se trouve en fin de procédure de validation à la Chancellerie fédérale. «Nous envisageons de lancer cette initiative à la fin de l’été», déclare Stefan Manser-Egli. «Contrairement au Conseil fédéral qui ne veut rien faire avant les élections fédérales, nous sommes prêts à prendre nos responsabilités», ajoute le président des Verts Balthasar Glättli.

«L’initiative, un plan B»

Opération Libero a lancé une opération de financement sur son site. Il a jusqu’ici recueilli 130 000 francs, soit moins du tiers du but de 500 000 francs qu’il s’était fixé, mais il a aussi enregistré des promesses pour 63 000 signatures.

Tous divisés sur la question européenne, les partis gouvernementaux restent sceptiques sur l’utilisation de l’initiative pour faire avancer la cause. «Je ne soutiens pas cette initiative, car elle ne sert à rien. C’est au Conseil fédéral d’agir, c’est à lui d’avoir un sursaut pour viser la conclusion d’un accord avec l’UE d’ici à l’été 2024», note pour sa part Elisabeth Schneider-Schneiter (Le Centre/BL). Une feuille de route qui est aussi celle de Maros Sefcovic, le commissaire européen chargé du dossier, qui a cité cette échéance en mars dernier lors de sa visite en Suisse.

«Notre initiative, très cohérente, est le fruit d’un grand mécontentement de la société civile sur la question européenne, mais aussi du manque d’engagement des partis politiques», relève pour sa part Maxime Barthassat, coprésident de l’Union des étudiants de Suisse (UNES), qui soutient Opération Libero dans sa démarche. «Si le Conseil fédéral décide d’accélérer le processus d’un accord avec l’UE en obtenant de bons résultats, nous serons toujours d’accord de la retirer. Nous l’avons toujours conçue comme un plan B, mais malheureusement elle semble aujourd’hui plus nécessaire que jamais», précise encore Stefan Manser-Egli.

Dans ce contexte de permanentes tergiversations, les pro-européens semblent incapables d’unir leurs forces

«Notre initiative est le fruit d’un grand mécontentement de la société civile sur la question européenne» MAXIME BARTHASSAT, COPRÉSIDENT DE L’UNION DES ÉTUDIANTS DE SUISSE

Avec l’UE, la Suisse n’est pas au bout de ses peines. Craignant des bouchons de plus en plus longs au tunnel du Gothard, trois politiciens du PLR, du Centre et des vert’libéraux envisagent d’introduire un péage d’environ 40 francs. Sauf que celui-ci nécessite l’accord de l’UE avec laquelle la Suisse a conclu un accord sur les transports terrestres dans le cadre du paquet des bilatérales I. Si le comité mixte des deux parties ne parvient pas à s’entendre, ce sera une pomme de discorde de plus. ■

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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