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Lueur d’espoir pour les étrangers diplômés

Le Conseil des Etats a désavoué une de ses commissions. Les sénateurs étudieront bien les moyens de faire entrer sur le marché du travail les titulaires d’un bachelor ou d’un master d’une haute école helvétique

DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

Alors qu’une sévère pénurie de personnel qualifié frappe la Suisse, faut-il faciliter l’admission sur le marché du travail d’étrangers titulaires d’un diplôme suisse? Le Conseil national avait répondu par l’affirmative en mars dernier. Au moment de se prononcer à leur tour, plusieurs sénateurs ont été saisis d’un doute. Leur crainte de violer la Constitution suisse en avalisant cette facilitation les a fait regimber. Exprimée au sein de la Commission des institutions politiques, cette frousse avait rallié une confortable majorité (8 voix contre 3 et 1 abstention) pour rejeter ce texte.

Lors du débat en plénière, ce lundi 5 juin, le rapport s’est inversé. A la manière d’une judoka, Lisa Mazzone, sénatrice verte genevoise, aidée par les Zurichois Daniel Jositsch (socialiste) et Ruedi Noser (PLR), s’est appuyée sur les faiblesses du camp d’en face pour l’emporter (24 voix contre 20).

«La situation est très inconfortable, a reconnu le PLR Philippe Bauer. Le besoin en main-d’oeuvre qualifiée de notre économie est avéré. Les personnes étrangères diplômées en Suisse seraient utiles à notre pays, où il manque 300 000 travailleurs qualifiés.» Des prolégomènes qui peuvent laisser espérer une suite positive. Or, pour le Neuchâtelois, il était hors de question d’aller dans le sens du Conseil national.

La raison? Ce qui est proposé violerait l’article 121 A de la Constitution, qui dit: «Le nombre des autorisations délivrées pour le séjour des étrangers en Suisse est limité par des plafonds et des contingents annuels.» Le texte fondamental serait malmené si l’on faisait des étrangers diplômés de hautes écoles suisses une exception supplémentaire à celles déjà prévues dans la loi, née de l’acceptation en vote populaire de l’initiative «Contre l’immigration de masse». «La norme est déjà très large», a résumé Daniel Fässler, centriste d’Appenzell Rhodes-Intérieures.

«Ne pas entrer en matière, c’est ne pas reconnaître le problème» LISA MAZZONE, SÉNATRICE VERTE GENEVOISE

Logique des contingents

C’est la fameuse logique des contingents, qui impose aux entreprises une multitude de démarches avant de pouvoir puiser dans un stock de permis de travail défini selon les besoins des branches. Andrea Caroni, président de cette Commission et sénateur PLR d’Appenzell Rhodes-Extérieures, a fait l’état des lieux de ces contingents pour 2022 pour constater que tous les permis n’avaient pas été épuisés. Un signe, selon lui, de l’inutilité du texte soumis au vote. Avec la majorité de la Commission, il suggérait donc de ne pas entrer en matière, pour «libérer le chemin pour une meilleure solution». Le caractère supposément inconstitutionnel de ce projet révoltait le Schaffhousois indépendant, Thomas Minder. «Si nous travaillons ainsi, a-t-il tonné, je comprends la méfiance du peuple envers la politique.»

«Valoriser un investissement public»

«Ne pas entrer en matière, a repris Lisa Mazzone, c’est ne pas reconnaître le problème. En formant ces personnes en Suisse, on a fait un investissement public. Il s’agit de se demander comment le valoriser.» Et la Genevoise de citer les conversations qu’elle a eues avec les représentants de PME au sein de la Fédération des entreprises romandes (FER), noyés sous la difficulté du processus administratif pour recruter du personnel au point que des sociétés tierces proposent des services pour prendre le tout en charge.

Entrepreneur lui-même, Ruedi Noser a détaillé un cas précis illustrant la complexité du système avant de se demander pourquoi ces diplômés, qui ont étudié en Suisse dont ils connaissent donc les coutumes, ne pourraient pas être traités différemment que des personnes n’ayant aucun lien avec le pays.

Candidats au Prix Nobel

«Les savoirs acquis en Suisse par ces diplômés sont de grande valeur, a repris Daniel Jositsch. On parle de candidats au Prix Nobel, de personnes qui vont créer des start-up et des places de travail, et non de futurs inscrits à l’aide sociale.» Pour le juriste de formation, «ajouter une exception à une liste déjà existante, pour le bien de notre économie», ne va pas contre l’article 121 A. Et pour celles et ceux qui auraient encore des doutes, voter le renvoi en commission permettrait de réfléchir à des solutions pour améliorer la situation, assurait Lisa Mazzone. Une voie médiane qui a l’a finalement emporté. ■

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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