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En Allemagne, l’extrême droite au sommet

Le parti Alternative für Deutschland (AfD) est en plein essor dans les sondages, profitant de la multiplicité des crises économique, climatique et énergétique, et de l’affaiblissement du gouvernement

DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN @delphnerbollier

Les militants d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) viennent de fêter son dixième anniversaire en grande pompe: dans les enquêtes d’opinion, la jeune formation d’extrême droite a le vent en poupe comme jamais. La voici aujourd’hui créditée de 18% des intentions de vote, soit autant que les sociaux-démocrates (SPD) du chancelier Olaf Scholz, en deuxième position ex aequo derrière les chrétiens-démocrates de la CDU/ CSU, selon un baromètre ARD/ DeutschlandTrend paru vendredi. Dimanche, le tabloïd Bild am Sonntag publiait un autre sondage la plaçant devant le SPD, avec 19% d’intentions de vote. Jamais, même au moment de la crise dite «des réfugiés» en 2015-2016, ce parti n’avait marqué tant de points auprès des Allemands. Un succès qui se traduit de façon très concrète. Dimanche, un candidat AfD s’est qualifié pour le second tour des élections de maire à Schwerin, capitale de la région de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. Une première fois pour une ville d’une taille pareille.

«Ce que nous prédisions est survenu»

Steffen Kubitzki, son député régional pour le Brandebourg, n’est pas surpris par ces résultats. Il voit plusieurs raisons à la réussite de son parti. «Nous mettons en garde depuis des années sur les conséquences de la politique d’asile du gouvernement. Ce que nous prédisions est survenu», explique-t-il au Temps par téléphone. «Le problème, ce ne sont pas les réfugiés ukrainiens, mais cette immigration de masse venue de Syrie et d’Afghanistan», lance-t-il. Et de donner l’exemple de certaines communes de 70 habitants, dans sa circonscription, qui se voient «contraintes» d’accueillir «une centaine de migrants». «Les gens ne sont pas d’accord», affirme-t-il. L’autre raison du succès réside, selon lui, dans «la politique énergétique complètement ratée» du gouvernement d’Olaf Scholz, entre l’abandon du nucléaire et le chaos de la loi sur le chauffage des particuliers qui fait la une des médias depuis des semaines.

Le vice-chancelier écologiste Robert Habeck souhaite en effet interdire toute nouvelle installation de chaudière au gaz et au mazout dès janvier prochain. Ce

«L’AfD n’a pas besoin de proposer quoi que ce soit pour récolter les fruits de la situation» ALEXANDER HÄUSLER, POLITOLOGUE

texte crée l’opposition non seulement d’une majorité d’Allemands mais aussi des libéraux qui siègent pourtant au gouvernement aux côtés des écologistes et du SPD. «Les citoyens m’appellent et ils rient quand on leur parle de pompes à chaleur», raconte l’élu AfD Steffen Kubitzki. «Qui va payer la mise en place de telles chaudières qui, d’ailleurs, ne sont pas accessibles en nombre suffisant? Cette politique est à côté de la plaque», s’emporte cet élu.

Désaffection pour le gouvernement

Au niveau des instances nationales de l’AfD, le ton est plus radical et vise avant tout les écologistes, la véritable bête noire de l’extrême droite allemande. «Les citoyens voient où mène la politique des Verts: à la guerre économique, à la hausse des prix et à la désindustrialisation», a lancé ce week-end le coprésident du parti, Tino Chrupalla. «Nous sommes le seul parti qui ne ferait pas de coalition avec ces dangereux Verts. Les citoyens l’apprécient», constate-t-il.

Le succès actuel de l’AfD ne surprend pas non plus Alexander Häusler, de l’Ecole des hautes études de Düsseldorf. «Les populistes de droite occupent toujours le terrain en temps de crise», constate-t-il. «Et nous en vivons des multiples, entre la pandémie, la guerre en Ukraine, les enjeux énergétiques et climatiques et l’inflation. L’AfD n’a pas besoin de proposer quoi que ce soit pour récolter les fruits de la situation», note-t-il en pointant aussi les manquements du gouvernement d’Olaf Scholz dont «l’image est mauvaise». Le politologue relève qu’«en temps de crise, des réformes doivent être entreprises mais il faut les expliquer. Or les partis de la coalition ne cessent de se disputer et la loi sur le chauffage ajoute de l’eau au moulin de l’AfD.»

Une mauvaise humeur qui provoque l’angoisse

Quant à l’opposition chrétienne-démocrate, si elle se maintient dans les sondages avec 29% d’intention de vote, elle ne parvient pas à réduire l’influence de l’extrême droite dans la désaffection croissante des Allemands envers le gouvernement. «Les chrétiens-démocrates soufflent sur les braises car ils reprennent des thèmes populistes comme l’immigration et les questions de genre. Cela a pour effet de normaliser les positions de l’AfD sur ces sujets. Les électeurs n’ont donc plus de réticence à soutenir ce parti, car ils préfèrent toujours l’original à la copie», constate Alexander Häusler.

La mise en lumière de la force de l’AfD par les récents sondages a provoqué un choc au sein des formations politiques classiques qui, depuis, s’en rejettent la responsabilité. Le chancelier Olaf Scholz a tenté de relativiser en la décrivant comme le parti «de la mauvaise humeur» et en répétant que d’ici aux législatives de 2025, l’eau aura coulé sous les ponts. Les politiciens allemands qui n’y adhèrent pas envisagent néanmoins avec angoisse les élections régionales à venir, en 2024, dans les bastions est-allemands de l’AfD. C’est le cas du Brandebourg où l’élu d’extrême droite Steffen Kubitzki se dit «très optimiste», tout en appelant son parti à proposer davantage de solutions «positives» au lieu de ne faire «que de râler»: «Beaucoup de choses peuvent changer en un an», relève-t-il. ■

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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