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La France face aux séquelles de la réforme des retraites

Alors que s’ouvre une semaine qui va remettre le mouvement contre la réforme des retraites en évidence, le président français est en Normandie dans la foulée de déplacements qui lui ont permis de reprendre du poil de la bête

PAUL ACKERMANN @paulac

Cette semaine, la France joue les prolongations de la contestation. Contre la réforme des retraites, bien sûr. Celle qui a été promulguée en avril et dont les premiers décrets d'application sont tombés ce week-end. Ce mardi a lieu une 14e grande journée de mobilisation syndicale, un mois après la dernière en date, et ce jeudi une proposition d'abrogation de la réforme pourrait être examinée à l'Assemblée nationale même si elle n'a aucune chance de passer. De quoi fournir de nouvelles images de foules en colère et d'altercations dans les couloirs du parlement.

Alors que plus grand monde ne croit à un recul du gouvernement sur ce sujet, les syndicats persistent à vouloir donner corps à l'hostilité des Français. Et, conscients que c'est davantage le passage en force démocratique que l'âge de la retraite en lui-même qui aura envenimé la situation, les opposants politiques à Emmanuel Macron, particulièrement au sein de la gauche radicale, n'hésitent pas à forcer le trait. Jean-Luc Mélenchon assure, par exemple, que la bataille des retraites «ne cessera jamais».

Il y a bien une colère profonde dans la population française. Elle date d'avant la réforme et a été exacerbée par des méthodes gouvernementales inacceptables aux yeux d'une majorité. Les Français rejetaient massivement l'idée de repousser l'âge légal de départ à la retraite, et les sujets de la pénibilité du travail ou de la répartition des richesses sont centraux dans leur vision de la société. Une telle réforme devait donc être votée au parlement et le fait qu'elle ne l'ait pas été a mis le feu aux poudres.

Mais un mois et demi après la promulgation du texte, Emmanuel Macron, avec la détermination qui le caractérise, semble être en train de réussir à imposer d'autres sujets. Immigration, éducation, environnement, patrimoine… il faut dire qu'il multiplie les chantiers. Et sa popularité en bénéficie. De quoi faire diversion jusqu'aux grandes vacances, période de trêve sacrée dans le calendrier français.

Peut-on dire pour autant qu'il aura réussi à passer à autre chose? Probablement d'un point de vue législatif. Mais d'un point de vue politique, les séquelles seront là. Des séquelles qui s'ajouteront aux autres séquelles qui s'accumulent depuis des années. Jusqu'à la prochaine montée de fièvre…

Il y a bien une colère profonde dans la population française

Après l’éducation, la santé, l’environnement, la réindustrialisation, les feux de forêt, la sécurité et bien d’autres dossiers sensibles sur la scène intérieure, Emmanuel Macron entamait ce hier une séquence mémorielle avec une nouvelle série de déplacements. Il a tout d’abord participé au Mont-Saint-Michel à une célébration du millénaire de l’église abbatiale, un des lieux le plus iconiques de France. Ce mardi, le président enchaîne en participant à la commémoration du 79e anniversaire du débarquement, toujours en Normandie et en présence d’Elisabeth Borne, sa première ministre.

Ce n’est peut-être pas un hasard si c’est également ce mardi qu’a lieu la 14e journée de mobilisation syndicale contre la réforme des retraites, la première depuis un mois. Elle avait été annoncée le 1er mai dans le souci de ne pas laisser mourir le mouvement social malgré la promulgation de l’impopulaire texte qui a mis le feu au début de ce second quinquennat présidentiel.

On devrait donc voir à nouveau des violences et plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues de France. Mais probablement pas une mobilisation à la hauteur du coeur de la contestation en mars. Et les perturbations liées aux grèves sont d’ores et déjà annoncées comme très faibles. Les premiers décrets d’application de la réforme ont par ailleurs été publiés dimanche au Journal officiel, c’est dire si le gouvernement fait tout pour que la séquence touche rapidement à sa fin.

Cent jours d’apaisement

Cette semaine avait initialement été choisie par les syndicats pour relancer le dossier car l’Assemblée nationale pourrait examiner jeudi une proposition visant à abroger le passage de la retraite à 64 ans. Mais ce énième rebondissement parlementaire sur une réforme qui monopolise le débat politique depuis le début de l’année ne semble pas devoir aboutir, le camp présidentiel sans majorité absolue ayant assez d’outils institutionnels en main pour l’empêcher. L’opposition veut cependant y croire, particulièrement à gauche. Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, exhorte par exemple à «augmenter encore le niveau de pression populaire». «La défaite n’est pas actée», ajoute l’écologiste Sandrine Rousseau.

Pour tourner la page de la crise sociale et démocratique révélée par le débat sur les retraites, Emmanuel Macron avait initialement annoncé une période de «100 jours d’apaisement», entre la promulgation du texte et le 14 juillet. L’objectif était de relancer le quinquennat en ouvrant d’autres chantiers, proches du quotidien des Français, mais aussi de construire des majorités projet par projet. A mi-chemin, la stratégie semble avoir quelques résultats, même si l’actualité de la semaine, entre la journée de manifestation et le débat sur l’abrogation, pourrait remettre une pièce dans la machine à contestation.

En attendant, trois sondages très rassurants pour le président ont révélé la semaine dernière que pour la première fois depuis très longtemps, sa cote de popularité est en train de remonter. Emmanuel Macron gagne par exemple 4 points dans une étude de l’institut Elabe, ce qui fait s’élever à 29% le nombre de Français lui accordant leur confiance. Plus significative encore, la défiance forte envers le président perd en intensité, en passant de 70% à 64% des Français qui ne lui font pas du tout confiance. Une première depuis août 2022.

Le «sparadrap des retraites»

Le baromètre de l’institut Ipsos accordait déjà une légère hausse à l’exécutif il y a deux semaines. Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, nous explique qu’Emmanuel Macron se «désenglue un peu du sparadrap des retraites dont il avait du mal à se débarrasser et qui n’est pas encore complètement décollé». Pour l’analyste politique, c’est principalement l’effet du temps qui passe: «On s’éloigne de l’acmé des retraites et à force d’aller sur d’autres terrains de jeu, il y a une petite musique qui s’installe. Avec des déplacements comme celui du Mont-Saint-Michel, il va dans le sens de la nostalgie qui est très porteuse dans cette période d’inquiétude. Et puis cela permet d’atténuer son image de technocrate qui ne comprend pas le fond du pays.» Brice Teinturier relativise cependant la portée de cette remontada: «Emmanuel Macron reste sur son socle, il ne remontera pas beaucoup plus. Son quinquennat n’est pas bloqué mais il sera probablement banal, sans autre grande réforme, avec une rancoeur profondément ancrée.»

L’omniprésence d’Emmanuel Macron ces dernières semaines sur le terrain et dans les médias rappelle le «grand débat» qu’il avait mis en place après la crise des Gilets jaunes. Mais Brice Teinturier fait remarquer que cette fois le président n’est pas tellement dans l’écoute et qu’il ne réoriente pas sa politique comme il l’avait fait en 2019. Toujours est-il qu’au Mont-Saint-Michel, l’Elysée décrivait «un discours sur la permanence et la résilience de la France face à la maîtrise des éléments». L’îlot est effectivement menacé par le réchauffement climatique mais il représente surtout une France «éternelle» qui se remet de toutes les crises. Comme Emmanuel Macron? ■

«Le quinquennat n’est pas bloqué mais il sera probablement banal, sans autre grande réforme» BRICE TEINTURIER, POLITOLOGUE

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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