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Une nouvelle commission d’étude qui interroge

FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEUR

Une nouvelle commission d’étude va voir le jour. Ayant pour objet la politique de sécurité, elle est créée par le seul Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Le Conseil fédéral en a été informé dans sa séance du 2 juin dernier. On ne connaît pour le moment que le nom de son président, M. Valentin Vogt, qui a présidé l’Union patronale au cours des douze dernières années. Le DDPS fera appel en outre à des professeurs de droit international, à des parlementaires et à des experts représentant de larges courants de la société, issus notamment de la vie politique, économique et scientifique. La commission donnera des impulsions au débat parlementaire et public et servira également à la rédaction du prochain rapport sur la politique de sécurité.

La guerre d’agression déclenchée par la Russie contre l’Ukraine a détruit l’architecture européenne de sécurité et emporté avec elle nombre d’illusions et beaucoup de naïveté. La politique suisse en la matière s’appuyait souvent sur l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe, qui date de l’époque brejnévienne et dont l’importance n’a cessé de diminuer, particulièrement depuis l’annexion de l’Ukraine en 2014. La Suisse a contribué à l’élaboration de l’Acte d’Helsinki de 1975. En 1996, elle s’est jointe au programme de partenariat pour la paix de l’OTAN qui encadre diverses coopérations entre un Etat non-membre et l’Organisation, y compris des exercices de type militaire. En 2014, le président de la Confédération, M. Didier Burkhalter, qui présidait simultanément l’OSCE, a commandé un rapport d’experts internationaux sur l’avenir de la sécurité internationale: la Suisse préconisait de poursuivre le dialogue de sécurité avec la Russie parallèlement aux efforts entrepris pour qu’elle se retire de la Crimée. Elle était seule de son avis, les autres personnalités estimaient au contraire que la Russie devait d’abord rapatrier ses troupes avant que l’on reprenne langue avec elle… Berne s’est rallié à cette vue en 2022.

Une réflexion fondamentale et réaliste sur toutes les facettes de la politique de sécurité vient donc à son heure.

Cependant, on peut s’étonner que le DDPS prenne cette initiative de son propre chef. La dernière commission d’étude à se pencher sur le sujet à la fin des années 1990 était présidée par un diplomate, l’ancien secrétaire d’Etat Edouard Brunner. Elle a pris un tournant clair vers une plus grande ouverture à la coopération internationale. Aujourd’hui, il s’agit clairement d’approfondir l’analyse qui a conduit la Suisse à se rapprocher des grands ensembles qui veillent sur la sécurité de notre continent.

Pourquoi le recours à une commission dans ce domaine sensible n’est-il pas carrément décidé par le Conseil fédéral lui-même et subsidiairement pourquoi d’autres secteurs de l’administration fédérale ne sont-ils pas impliqués dès le début dans ce projet – le Département fédéral des affaires étrangères et celui de l’économie par exemple? Et pourquoi les noms des membres de la nouvelle commission ne sontils pas connus en même temps que celui de leur président? M. Vogt aura-t-il son mot à dire dans le choix de ses collègues? Personnalité marquante, pragmatique et qui a une saine perception des besoins de l’économie nationale, il a été le protagoniste, et parfois l’adversaire de l’Union syndicale, dans une série de débats et décisions. Cela ne le disqualifie pas, mais souligne le besoin d’une composition équilibrée de la commission, qui doit ancrer davantage dans la population les notions propres à la politique de sécurité. Des parlementaires vont prendre part aux travaux de la commission, sachant que, s’ils sont réélus, ils auront à se prononcer sur son objet lorsque les conseils auxquels ils appartiennent en seront officiellement saisis. Qu’en est-il de la séparation des pouvoirs? Enfin, la place de la politique de sécurité sera prochainement rehaussée au sein du DDPS qui va se doter d’un secrétariat d’Etat: comment s’articule la relation entre le nouvel organe administratif et la commission qui va être mise sur pied? ■

Débats

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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