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Prendre congé pour aller manifester

GRÈVE DES FEMMES Les entreprises ne sont pas tenues d’accorder un jour pour manifester le 14 juin. Car cette grève ne répond pas à la définition de conflit employeur-employé

JULIE EIGENMANN @JulieEigenmann

■ Dans la pratique, entreprises et administrations se montrent plutôt souples. De la fonction publique au privé, un tour d’horizon des stratégies mises en place

La Grève des femmes (ou féministe) du 14 juin est dans un peu plus d’une semaine, mais elle fait déjà couler beaucoup d’encre et amène avec elle son lot de questions. Certaines salariées et certains salariés souhaiteront rejoindre ses rangs, pour demander une revalorisation financière et sociale du travail des femmes, entre autres revendications. Mais participer à ce mouvement de grève est-il un droit en Suisse?

Au sens juridique du terme, il ne s’agira pas, le 14 juin, d’une grève. «Le droit de grève est garanti par l’article 28 de la Constitution fédérale, détaille Rémy Wyler, avocat et professeur en droit du travail à l’Université de Lausanne. La jurisprudence la définit comme étant «le refus collectif de la prestation de travail due, dans le but d’obtenir des conditions de travail déterminées de la part d’un employeur».»

Autrement dit, une revendication politique ou un mouvement de solidarité avec les employés d’autres entreprises, comme le sont le 14 juin ou le 1er mai, ne remplissent pas les conditions de la grève.

Risque d’avertissement

Et si des employées manifestent pour une inégalité salariale observée dans leur propre entreprise? «Une grève ne permet pas d’assurer le respect du droit existant, répond Rémy Wyler. Si les conditions d’égalité des sexes dans les rapports de travail ne sont pas réunies, c’est aux tribunaux qu’il convient de s’adresser.»

Conclusion: les travailleurs et travailleuses ne peuvent pas exiger d’être absents ce jour-là et cela s’applique aussi bien aux salariés de la fonction publique qu’à ceux du secteur privé. «Ne pas venir travailler en raison de sa participation à la Grève des femmes sans avoir obtenu un congé de l’employeur peut donc constituer une violation des rapports contractuels et être sanctionné», ajoute l’avocat.

L’employeur a le droit de refuser la demande de congé au titre de l’article 321a du Code des obligations sur le devoir de fidélité du travailleur, rappelle Marco Taddei, responsable romand de l’Union patronale suisse. Si la personne s’absente tout de même, selon les liens de confiance qui préexistaient entre employeur et employé, cela peut ne pas porter à conséquence ou aller jusqu’à un avertissement.

Rémy Wyler encourage celles et ceux qui souhaiteraient manifester sur les heures de travail à faire une demande formelle auprès de leur employeur. «S’il accepte, il peut l’imputer sur les vacances ou octroyer un congé à bien plaire». L’entreprise est par ailleurs libre d’offrir ce jour pour soutenir cette cause, «importante, comme d’autres», précise le professeur. L’Union patronale suisse n’émet pas de recommandation particulière aux sociétés. Mais si certaines salariées font une demande, Marco Taddei précise tout de même: «Il convient d’accepter le congé seulement si cela est compatible avec l’organisation du travail et ne met pas à mal le bon fonctionnement de l’entreprise. Dans ce cas, les heures d’absence ne sont pas payées ou sont compensées par les travailleuses.»

Légalité ou légitimité

Les syndicats appellent de leur côté à la grève le 14 juin et de nombreux arrêts de travail auront lieu à travers la Suisse, note Aude Spang, déléguée à l’égalité d’Unia. «Le droit de grève étant particulièrement restrictif en Suisse, il faut s’assurer de respecter certains critères afin que la grève soit

«Ne pas venir travailler sans avoir obtenu un congé de l’employeur peut constituer une violation des rapports contractuels»

RÉMY WYLER, AVOCAT ET PROFESSEUR EN DROIT DU TRAVAIL À L’UNIL

licite.» Par rapport à une grève au sens premier du terme, elle souligne que «la Grève des femmes va plus loin: il s’agit d’un mode d’action politique et d’un moyen de défendre les droits des travailleuses et des travailleurs».

Aude Spang poursuit: «A chaque grève, les employeurs prétendent qu’elle est illégale. C’est une manière d’éviter de parler des problèmes réels des femmes au travail. Cette grève est légitime; ce qui est illégal et contraire à la loi, c’est l’inégalité de traitement.» Autant de réflexions qui mettent en lumière la frontière et la différence entre légalité et légitimité.

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2023-06-06T07:00:00.0000000Z

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