Le Temps epaper

Cancer du poumon: un traitement plus ciblé

ONCOLOGIE Une étude américaine avec cinq ans de recul montre que l’administration d’un médicament ciblé, en plus de la chimiothérapie dans les formes opérables de la maladie, réduit le risque de mortalité par deux

FLORENCE ROSIER, CHICAGO (LE MONDE) * Anne-Claire Toffart et Nicolas Girard déclarent des liens d’intérêt avec de nombreux laboratoires, dont AstraZeneca.

Un médicament innovant, administré à des patients atteints de cancer du poumon précoce (non métastasé), freine la progression de la maladie et réduit de moitié le risque de décès. La science cherche aussi à personnaliser les thérapies selon le «profil de la tumeur» de chaque malade.

Dimanche 4 juin, le centre de congrès qui borde le lac Michigan, à Chicago (Illinois), était en effervescence. Des milliers de femmes et d’hommes, médecins oncologues, chercheurs et salariés des laboratoires pharmaceutiques, arpentaient les couloirs de cet édifice tentaculaire, en quête d’une présentation à ne pas manquer, d’une réunion à suivre, d’un stand à visiter. Avec 43000 participants, la grand-messe annuelle de la cancérologie, le congrès de la Société américaine d’oncologie clinique (ASCO), était revenue aux niveaux de fréquentation des années antérieures – celles d’avant la crise sanitaire.

Quoi de neuf cette année, en matière de prise en charge des cancers? Les petits ruisseaux font de grandes rivières: l’édition 2023 de l’ASCO illustre parfaitement l’adage. Pas de révolution majeure, mais une somme de «progrès à petits pas» qui confortent l’intérêt de deux stratégies en plein essor. D’une part, il s’agit d’administrer des traitements innovants à des patients atteints de cancers précoces, encore localisés (non métastasés). D’autre part, de personnaliser les thérapies selon le «profil de la tumeur» de chaque malade (par exemple, ses anomalies moléculaires).

Cibler une anomalie

Démonstration, à Chicago, avec le deuxième cancer le plus fréquent du monde, celui du poumon. Soit 2,21 millions de nouveaux cas et 1,80 million de décès chaque année sur la planète, dont 4800 cas et 3300 décès en Suisse.

A 14h ce dimanche, pas moins de dix écrans géants retransmettaient, dans un hall bondé, la présentation qui ouvrait la série des «sessions plénières», ces temps forts du congrès. Tous attendaient les résultats d’une étude présentés par Roy Herbst, de l’Ecole de médecine de Yale (Connecticut).

L’enjeu? Evaluer, chez certains patients atteints d’un cancer du poumon à un stade précoce, l’intérêt d’ajouter au traitement standard un médicament ciblant l’anomalie moléculaire présente dans leur tumeur. Au moins 10 à 15% de ces patients (et même davantage dans certains pays), en effet, portent une mutation dans un gène codant une protéine nommée EGFR. Une fois mutée, cette protéine provoque une multiplication effrénée, anarchique des cellules tumorales. Les cancers concernés ici, précisons-le, sont du type «non à petites cellules», les plus fréquents.

Les laboratoires ont donc développé des médicaments qui inhibent les protéines EGFR mutées. Si les deux premières générations manquaient de spécificité – elles inhibaient aussi la protéine EGFR normale, présente à la surface de toutes les cellules, d’où leurs nombreux effets indésirables –, la troisième est plus sélective. Son principal représentant, l’osimertinib (laboratoires AstraZeneca), était au centre des attentions du jour.

Depuis cinq à dix ans, les patients métastatiques avaient déjà vu, grâce à ce traitement, leur espérance de vie «bondir d’un à quatre ans, précise Anne-Claire Toffart, oncologue thoracique au CHU de Grenoble. Un progrès impressionnant.»

Concernant les cancers plus précoces, un essai clinique, nommé Adaura, a évalué dans 26 pays le bénéfice de cette thérapie ciblée chez 682 patients atteints d’un cancer du poumon localisé. Deux tiers étaient des femmes, plus

Des molécules injectables boostent les défenses anti-cancer du malade

touchées par ce type de tumeur; deux tiers étaient non-fumeurs, et deux tiers étaient des Asiatiques; la moyenne d’âge était de 64 ans. Les malades ont d’abord été opérés, puis 60% d’entre eux ont eu une cure de chimiothérapie (selon le stade de leur tumeur). Ils ont ensuite été tirés au sort pour recevoir soit de l’osimertinib (339 patients) par voie orale, soit un placebo (343 patients), durant trois ans ou jusqu’à la récidive de la maladie.

En 2020, de premiers résultats révélés à l’ASCO indiquaient que le traitement par l’osimertinib réduisait de 80% le risque de progression de la maladie. Ce progrès a conduit les autorités américaines puis l’Agence européenne des médicaments, en mai 2021, à élargir l’autorisation de cette molécule aux cancers du poumon précoces portant la mutation.

Améliorer le pronostic

Mais qu’en était-il de la survie? C’est ce que devait révéler la présentation du 4 juin. Au final, 88% des malades ayant reçu la thérapie ciblée étaient toujours en vie cinq ans après l’intervention chirurgicale, contre 78% de ceux ayant reçu un placebo, a annoncé Roy Herbst. Ce traitement ciblé a réduit de moitié le risque de décès. L’osimertinib, par ailleurs, semble jusqu’ici plutôt bien toléré, malgré quelques effets indésirables digestifs ou cutanés.

«C’est un résultat très intéressant, car c’est la survie des patients qui compte», estime Anne-Claire Toffart*, qui n’a pas participé à l’essai. Cette étude, par ailleurs, «renforce la nécessité de tester systématiquement les tumeurs opérées pour rechercher les mutations d’EGFR», ajoute Nicolas Girard*, coordinateur de l’Institut du thorax Curie-Montsouris, qui n’a pas non plus participé à cette étude.

Et pour les 85 à 90% de patients non porteurs de la mutation? Comment améliorer encore leur pronostic? Là encore, des médicaments qui ont d’abord fait leurs preuves dans des formes métastatiques sont désormais évalués dans des formes localisées. Ces traitements sont des immunothérapies: en clair, des molécules injectables qui boostent les défenses anti-cancer du malade en levant les barrières que leur opposent les cellules cancéreuses.

L’an passé, Nicolas Girard a montré qu’une de ces immunothérapies (le nivolumab, de Bristol-Myers Squibb), administrée avant la chirurgie, réduit de 40% le risque de rechute et de décès de ces patients, après un suivi de trois ans. Mais quand une autre immunothérapie est donnée après la chirurgie, pendant un an, la baisse du risque n’est que de 25%.

Autre possibilité, présentée le 2 juin à l’ASCO: traiter les patients avant et après la chirurgie. Mais le prix à payer, en termes de toxicité, pourrait être accru, ces immunothérapies pouvant entraîner des hypothyroïdies définitives. Nul doute que les cancérologues vont continuer de débattre des meilleures options, là encore, selon le profil des malades.

La Une

fr-ch

2023-06-06T07:00:00.0000000Z

2023-06-06T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281513640545590

Le Temps SA