Le Temps epaper

Le livre est à tout le monde

Après trois années d’absence, la manifestation se déploie à nouveau dans la grande halle de Palexpo qui a fait sa marque. Avec 260 exposants et 639 auteurs venus de toute la francophonie, l’ambition est de placer le livre au coeur des curiosités d’un larg

LISBETH KOUTCHOUMOFF ARMAN

Le Salon du livre de Genève ouvre ses portes aujourd’hui à Palexpo après trois ans d’absence. Le covid est passé par là. Mais pas seulement. Une guerre en Europe qui s’enfonce dans l’horreur, des tensions climatiques exacerbées, des menaces sur la démocratie par les populismes de tout bord, une crise bancaire et sa casse sociale en Suisse. Le retour de la grande manifestation dans le lieu qui l’a vue naître en 1987 pourrait paraître anecdotique. Rien n’est plus faux.

Pour prendre la mesure de l’événement, il faut écarter deux attitudes. L’esprit chagrin tout d’abord, qui voudrait ne voir dans les halles de Palexpo qu’un lieu froid et peu accueillant. L’autre, une sorte de lassitude d’enfant gâté qui ne sait où donner de la tête devant l’offre culturelle pléthorique. En trente-cinq ans, le nombre de festivals littéraires ou de salons d’auteurs en Suisse romande a été multiplié par cinq, puis par dix. A quoi s’ajoutent des lieux entièrement dévolus aux rencontres et aux animations littéraires comme la Fondation Jan Michalski à Montricher et la Maison Rousseau et Littérature à Genève. Dans ce contexte, le Salon du livre n’a plus le brio de ses débuts.

Mais il garde pourtant l’essentiel, à savoir sa taille. Le Salon de Genève est la seule foire du livre de Suisse, «foire» étant utilisé dans son sens noble de rencontres, de brassages, de désordre fertile. C’est parce que le Salon est à Palexpo, grande halle capable d’accueillir des dizaines de milliers de visiteurs, que le grand public s’y sent chez lui, sans jugement, sans exigence de savoir préalable. Une dimension que la manifestation a d’autant plus cette année qu’elle devient gratuite. A côté des excellents festivals qui ont essaimé dans toute la Suisse romande, il faut un lieu et un Salon qui s’adressent autant aux connaisseurs qu’à celles et ceux qui ont peu accès aux livres.

En trois ans, autre chose encore a changé: l’emprise des réseaux sociaux et du numérique sur nos vies, et en particulier, sur celles des plus jeunes. Le Salon du livre, c’est aussi, voire surtout, 300 classes d’enfants et d’adolescents qui déambulent avec gourmandise dans les travées. Qui voient des gens qui discutent, qui échangent des idées sans forcément être d’accord entre eux. Ils découvrent que les livres sont des vecteurs d’imaginaire et donc de joie. Ils ne s’en rendent pas compte sur le moment mais ils repartent changés. Oui, plus aguerris pour repousser les guerres et les populismes. Et pour inventer demain.

C’est parce que le Salon est à Palexpo que le grand public s’y sent chez lui

Il faut parfois s’éloigner pour mieux apprécier les êtres et les lieux. Que n’a-t-on glosé par exemple sur la froideur des halles de Palexpo, lieu d’accueil depuis 1987 et organisateur du Salon du livre de Genève? Et puis sont arrivées les années covid, en 2020 et 2021, puis, en 2022, un problème de chevauchement de dates avec le Salon du livre de Paris: pendant trois ans, le salon genevois a dû se réinventer hors les murs, éclaté dans divers petits lieux de la ville. Fini le grand rassemblement de tous les publics, fini les stands d’éditeurs. Cette parenthèse se ferme aujourd’hui avec le grand retour du salon dans ses quartiers d’origine.

Jusqu’à dimanche, dans un espace resserré (17 000 mètres carrés au lieu des 20 000 habituels), la manifestation accueille 260 exposants venus de toute la francophonie (Suisse, France, Belgique, Canada, Afrique) et 639 auteurs et autrices. «Ces trois dernières années, nous avons pu maintenir le lien avec les auteurs et les éditeurs grâce à la tenue des salons en ville. Ce lien de confiance fait qu’ils répondent présents avec enthousiasme aujourd’hui», se félicite Nine Simon, responsable de la programmation culturelle du salon. «L’attente des éditeurs est très grande. La force d’une grande halle comme la nôtre est de leur permettre, ainsi qu’aux auteurs, d’aller à la rencontre d’un autre public, bien plus large que le public de connaisseurs», renchérit Natacha Bayard, directrice du salon.

Pour marquer cette volonté d’ouverture, la manifestation sera cette année, et pour la première fois, entièrement gratuite, à charge pour les visiteurs de s’enregistrer en ligne. «C’est le dispositif adopté déjà au Salon du livre de Paris. Cela nous permet de connaître le public du salon, de pouvoir dialoguer avec lui et de bien gérer les flux», estime Claude Membrez. Pour le directeur de Palexpo, l’envie de sortir de chez soi et de se rassembler est bien vivace dans le public, «les rencontres virtuelles ont montré leurs limites». S’inscrire sur internet avant de venir n’ira pas forcément de soi pour une part des visiteurs: «S’enregistrer sur place sera toujours possible. Le mercredi était traditionnellement une journée gratuite. Nombreux seront sans doute les visiteurs à se présenter sans enregistrement ce jour-là. Nous serons souples», précise Emilie Kostka, cheffe du service communication.

Après trois ans d’absence à Palexpo, la fréquentation sera le grand enjeu de cette édition. Palexpo ne communique pas sur le nombre de visiteurs inscrits à ce stade mais donne quelques indicateurs: «Depuis lundi, la fréquentation du site internet du Salon est de 225 visiteurs par minute, ce qui est un très bon signe. Sur les réseaux sociaux, nous sommes aussi suivis par une communauté fidèle. Un salon réussi réunit les aficionados et ceux qui viennent sans savoir à l’avance ce qu’ils y trouveront», détaille Emilie Kostka.

«S’extraire de l’actualité à laquelle est soumise la librairie, c’est précieux» STÉPHANE FRETZ, FONDATEUR DES ÉDITIONS ART&FICTION

Prise de risque

Parmi les éditeurs, un grand absent, Gallimard, qui manquera au rendez-vous pour la première fois depuis 1987. La maison parisienne n’a pas donné d’explications mais, parmi les professionnels, l’enquête lancée par la Commission de la concurrence en janvier sur le groupe Madrigall, la holding de Gallimard, pourrait avoir joué un rôle. Du côté des éditeurs suisses, l’ambiance est à l’enthousiasme et à la prise de risque. Caroline Coutau, des Editions Zoé, et Francine Bouchet, de La Joie de lire, s’unissent pour proposer un grand stand de 100 mètres carrés. «On a été frustré pendant trois ans de ne pas pouvoir rencontrer le public. On a décidé de jouer le jeu à fond et de marquer le coup», expliquent de concert les deux éditrices.

Stéphane Fretz, d’Art&Fiction, attend lui aussi les lecteurs: «Un salon comme celui-ci est unique en Suisse romande. Il nous permet de présenter l’entier de notre catalogue, c’està-dire d’expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons. S’extraire de l’actualité à laquelle est soumise la librairie, c’est précieux.»■

La Une

fr-ch

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281870122681492

Le Temps SA