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Leonard Cohen en images et en mots

CINÉMA «Hallelujah» est la chanson la plus célèbre du chanteur canadien à la renommée mondiale, également romancier. Elle rythme et donne son nom au documentaire qui paraît aujourd’hui, riche d’images rares et de témoignages variés

ANTOINE DUPLAN t @duplantoine

On commence par la fin, quelques images de l’ultime concert, le 21 décembre 2013, quand un dernier Hallelujah monte vers le ciel. Ensuite, on remonte le temps pour évoquer la trajectoire terrestre de Leonard Cohen, né le 21 septembre 1934, à Montréal, dans une famille juive anglophone. Au commencement était le verbe. Le chanteur évoque son grand-père capable de planter dans la Torah une épingle et de citer chaque mot transpercé. Il parle aussi de la lettre qu’il a écrite à son père, mort lorsqu’il avait 9 ans, et enterrée après l’avoir glissée dans une des plus belles cravates du défunt. C’était la «première fois que les mots servaient».

Il publie un premier recueil de poèmes en 1956 et s’il acquiert une guitare, c’est juste pour séduire les filles. Il publie deux romans à succès, The Favorite Game et Beautiful Losers. Puis la musique vient appuyer les mots. Il chante The Stranger Song à la télévision canadienne. Il se cherche un agent à New York; on lui répond qu’à 32 ans il est trop vieux pour la chanson. Soutenu par Judy Collins, le chanteur débutant rayonne bientôt à l’international. Suzanne, Sisters of Mercy, So Long Marianne, Bird on a Wire, Famous Blue Raincoat, Who by Fire… Ses titres enchantent le monde.

A John Lissauer, le producteur de New Skin for the Old Ceremony, il avait dit: «Je t’appelle». Il a mis huit ans pour le faire.

A gauche: Leonard Cohen chez lui, l’année de sa mort.

L’auteur de «Suzanne» et de «So Long, Marianne» aurait acheté sa première guitare juste pour séduire les filles…

Ils se retrouvent pour enregistrer Various Positions (1984), l’album qui contient Hallelujah. C’est autour de cette chanson suprême que s’organise Hallelujah. Les mots de Leonard Cohen, de Dan Geller et Dayna Goldfine, un documentaire passionnant, classique dans sa forme, abondant en images rares et témoignages variés.

Elévation mystique

«J’ai entendu qu’il y avait un accord secret/Que David joua pour plaire au Seigneur…» Le psaume incandescent n’a pas connu un succès immédiat. Il faut dire que CBS a refusé de sortir le disque, jugé trop mauvais, aux Etats-Unis. Pourtant, la chanson infuse. Bob Dylan la joue parfois en concert. Puis John Cale, ex-Velvet Underground, entonne sa version sépulcrale pour piano. Ce thrène ténébreux envoûte Jeff Buckley: tel un ange déchu, il hulule un Hallelujah bouleversant qui s’ancre dans l’imaginaire collectif.

Emblématique de la relation compliquée que Cohen entretenait avec Dieu, «Hallelujah» aurait demandé sept ans d’écriture

A l’instar de John Lennon avec Imagine, Leonard Cohen a composé avec Hallelujah une chanson universelle, oecuménique, qu’on entonne aux mariages et dans les enterrements, que des théories de baltringues esquintent dans des télécrochets – séquence d’une hilarante cruauté. Les raisons de cet engouement sont multiples. La première est fournie par Cohen lui-même: «Le mot «hallelujah» est tellement riche. On le chante depuis mille ans pour aider à vivre.» Sachant la toute-puissance du verbe, le poète a emprunté l’acclamation liturgique au divin pour le donner à l’humain et peut-être retrouvé l’accord secret du roi David. Emblématique de la relation compliquée que Cohen entretient avec Dieu, cette chanson aurait demandé sept ans d’écriture et compterait 180 couplets dans sa version longue…

Le psaume sublime oscille entre l’élévation mystique et l’appétence charnelle. En 1988,

histoire d’«explorer la face profane» du titre, Cohen interprète Hallelujah avec de nouvelles paroles qui ne s’adressent plus au Très-Haut, mais à la femme, cet obscur objet de désir. Quel que soit le destinataire, la chanson prodigieuse conserve ses vertus curatives. La chanteuse Brandi Carlile dit y avoir trouvé la force de réconcilier sa foi chrétienne et son homosexualité.

Ténèbres imminentes

Au mitan des années 1990, Leonard Cohen se retire du monde. Il passe six ans dans un monastère zen à Mount Baldy, en Californie. Quand il redescend en plaine, c’est pour découvrir que sa manageuse a siphonné son compte en banque. Il doit se refaire. Il sort un nouveau disque, Ten New Songs. En 2008, il reprend la route.

Le public se souvient-il de lui? La tournée démarre timidement dans un petit théâtre. Il est complet. A 74 ans, Leonard Cohen, superstar en costard gris, remplit les stades, transporte les foules, sans se départir de son sens de l’humour – «La dernière fois qu’on s’est vus, j’avais 61 ans, j’étais un enfant avec des rêves fous…» Il sort encore trois disques. Le dernier, You Want It Darker, annonce les ténèbres imminentes. Leonard Cohen s’éteint le 7 novembre 2016. «It’s a cold and it’s a broken Hallelujah!»

■ Hallelujah. Les mots de Leonard Cohen (Hallelujah. Leonard Cohen, a Journey, a Song), de Dan Geller et Dayna Goldfine (Etats-Unis, 2021), 1h58.

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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