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«The Pressure Game», au coeur (tendre) de la Nati

LIONEL PITTET t @lionel_pittet

Pour la SSR, le réalisateur Simon Helbling a suivi l’équipe de Suisse pendant près d’une année, jusqu’à son élimination en huitièmes de finale de la Coupe du monde 2022. Il en tire un documentaire plus attentif aux âmes qu’aux matchs (et c’est tant mieux)

Une scène, choisie presque au hasard: sur la table de massage au centre du vestiaire, une caisse de bières et une pile de cartons de pizza; autour, des gars souriants, laissant retomber en groupe les émotions du match. Une autre scène: tous les joueurs sont assis, tête basse, le calme après la tempête d’une première mi-temps; au milieu d’eux le capitaine gesticule, harangue: «ON RESTE POSITIFS! POSITIFS!» Encore une scène, tout autre chose: Madame dit tout le bien qu’elle pense de son attaquant de mari, mais confie: «Parfois, j’aimerais que le football soit un peu moins omniprésent dans notre vie…»

Pourrait être conté là le destin de n’importe quelle équipe de football, à n’importe quel niveau. Ce n’est pas n’importe quelle équipe, c’est l’équipe de Suisse, ce n’est pas n’importe quel niveau, c’est la Coupe du monde, mais cette apparente banalité constitue la grande réussite de The Pressure Game, une série documentaire en six épisodes de 30 minutes (diffusée en deux soirées mardi et mercredi dès 20h10 sur RTS 1). Elle ne guette pas ce qui distingue des joueurs internationaux (le niveau sportif et la richesse), mais ce qui est commun à tous les footballeurs: les états d’âme, les doutes, les colères, les excès qui ne durent qu’un instant, les joies, les déceptions, les excuses.

En bref: l’humain. «C’est une bonne série, intéressante, transparente, estime le sélectionneur Murat Yakin. Mais au final, on y voit assez peu de football…»

C’est le contre-pied classique, et sans doute nécessaire, de ces «docu-séries» sportives qui inondent les plateformes de streaming depuis que le succès de Drive to survive (Netflix) a remis la formule 1 à la mode. Mais si toutes les équipes, ligues et autres fédérations rêvent de leur propre programme, beaucoup se révèlent décevants. Parce que trop lisses, trop hagiographiques, trop fouillis ou trop linéaires. The Pressure Game évite la plupart de ces écueils, relevant bien du journalisme et pas de la «création de contenu» corporate.

Shaqiri et la quête d’anonymat

Le service de communication de l’Association suisse de football clame ne pas être intervenu sur le montage final – il n’y a pas de raison d’en douter vu la teneur de certaines scènes. «Nous avons assuré au réalisateur et à son équipe que nous leur donnerions un accès total, souligne le porte-parole Adrian Arnold. C’était toute l’idée du projet.»

Pendant près d’une année, le réalisateur Simon Helbling et son équipe ont donc arpenté librement les coulisses de la Nati. Les caméras tournent quand Granit Xhaka critique la stratégie adoptée à la mi-temps de Suisse-Serbie. Ne manquent rien des grimaces qui lacèrent le visage de Ruben Vargas, qui vient de se blesser. Captent la rage froide du gardien Gregor Kobel qui apprend qu’il ne jouera pas ce match amical contre l’Angleterre à Wembley. Mais elles ne s’embarrassent ni de trop raconter le déroulement des matchs (tout le monde les a vus) ni de scruter les soubresauts tactiques (ceux que cela intéresse n’apprendraient rien).

Les six épisodes apportent bien sûr des éléments, voire des réponses complètes aux questions que peuvent se poser les supporters de l’équipe de Suisse. Pourquoi Kevin Mbabu et Jordan Lotomba n’ont-ils pas été sélectionnés pour la Coupe du monde?

Une scène tirée de la série «The Pressure Game». «C’est une bonne série, intéressante, transparente», estime le sélectionneur Murat Yakin.

Au-delà de tout cela, le travail de Simon Helbling révèle surtout des personnages

Comment le choix de la défense à trois pour affronter le Portugal a-t-il été arrêté? Comment s’articulent les relations entre les différents gardiens de but? Au-delà du verbe facile et des sourires, quel genre de coach est Murat Yakin dans l’intimité du vestiaire?

Mais au-delà de tout cela, le travail de Simon Helbling révèle surtout des personnages. Il y a ceux que l’on n’attend pas vraiment, parce qu’on les connaît mal, comme le gardien remplaçant Jonas Omlin, qui affiche une mélancolie touchante lorsqu’il évoque un football qui l’a «souvent déçu». Et il y a ceux qui surprennent moins au casting, parce qu’ils sont toujours au coeur de la couverture médiatique de la Nati, mais qu’on découvre sous un autre jour.

Ainsi, par exemple, de Xherdan Shaqiri. D’un côté, il confie qu’il «revit» depuis son transfert à Chicago, parce qu’il peut se promener dans la rue sans être abordé toutes les deux minutes, et qu’il troquerait volontiers sa vie de star contre celle, plus anonyme, «de [son] frère ou [son] cousin». D’un autre, il prolonge une séance de dédicaces alors que le staff de la Nati lui a dit qu’il en avait fini. «Mais ces gens sont venus spécialement pour nous…», lancet-il avec une sincérité touchante. Derrière les moues renfrognées, le coeur tendre.

La galerie de portraits est sublimée par de beaux moments de cinéma, des scènes fortes et bien filmées. «Ça fait dix ans qu’on veut écrire l’histoire et voilà le résultat», hurle Granit Xhaka pour luimême après la défaite contre le Portugal, dans une salle de sport presque vide aux allures de cellule de dégrisement, comme consumé par sa propre ambition. La douleur, bien sûr, s’apaisera dans la nuit d’un match que l’on refait avec les copains. Tous les footballeurs le savent.

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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