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Une partie des bonus des banquiers de Credit Suisse seront gelés

Le Département des finances a annoncé mardi soir vouloir geler les rémunérations variables qui ne sont pas encore versées chez Credit Suisse. Les centaines de millions des années folles de la banque seront, eux, intouchables

ALINE BASSIN ET DUC-QUANG NGUYEN t @bassinaline | t @duc_qn

Elle a dû très vite rétropédaler. Interpellée dimanche au cours de la conférence de presse qui a planté le dernier clou dans le cercueil de Credit Suisse, la ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, a déclaré que rien ne s’opposait au versement des bonus des dirigeants de feu la grande banque suisse.

Une tempête de réactions ulcérées sur les réseaux sociaux a obligé la conseillère fédérale à faire machine arrière. Mardi soir, son département a annoncé que l’établissement devait suspendre le versement de certains bonus à ses collaborateurs. La mesure concerne les rémunérations déjà approuvées pour les exercices antérieurs à 2022 et qui ont été différées.

Pour des raisons de sécurité juridique, le Conseil fédéral a décidé de ne pas interdire avec effet rétroactif le versement aux collaborateurs de Credit Suisse des rémunérations variables déjà approuvées pour l’exercice 2022. Il précise vouloir éviter de toucher des personnes qui n’ont pas elles-mêmes causé la crise.

L’article 10a de la loi sur les banques stipule que si «une banque d’importance systémique […] se voit accorder une aide financière directe ou indirecte puisée dans les moyens de la Confédération, le Conseil fédéral ordonne en même temps des mesures en matière de rémunération pour toute la période durant laquelle le soutien est accordé».

Cette décision ne touche pas seulement le top management mais aussi ceux que l’on appelle dans le milieu bancaire les «key risky takers». Au nombre de 1155 en 2022, ces employés considérés comme les «talents» de la banque touchent leur rémunération variable en deux temps.

Comme l’a confirmé le rapport annuel 2022 de la banque, les dirigeants de celle-ci avaient, eux, renoncé à leurs bonus en raison de la performance pitoyable de l’exercice. Pour rappel, une perte de 7,3 milliards de francs avait été essuyée. Les bonus de la direction avaient atteint une somme totale de 8,6 millions de francs en 2021. Une partie de ce montant pourrait donc bien ne jamais être versée.

Les 18 membres de la direction ont tout de même perçu dans l’ensemble 32,2 millions de francs de rémunération en 2022, alors que les 15 dirigeants avaient obtenu 38,1 millions en 2021. A titre d’exemple, le directeur général, Ulrich Körner, qui est arrivé en août dernier, a empoché 2,5 millions; son prédécesseur Thomas Gottstein avait perçu 3,8 millions lors de l’exercice précédent.

Le conseil d’administration a, pour sa part, reçu au total 10,4 millions de francs en 2022 (-11%), dont 3,2 millions pour le président Axel Lehmann, qui avait été formellement élu à la tête du conseil d’administration fin avril 2022. Ce dernier a renoncé à sa prime de président de 1,5 million «en raison de la faiblesse des résultats».

Une assemblée générale qui promet d’être chahutée

La question figurera également au menu de la dernière assemblée générale des actionnaires de Credit Suisse qui aura lieu le 4 avril à Zurich. Le rendez-vous promet d’être aussi fréquenté qu’agité puisqu’il donnera l’occasion aux futurs anciens «propriétaires» de la banque de dire tout le mal qu’ils pensent des conditions dans lesquelles l’achat de Credit Suisse par UBS s’est déroulé. Même si des litiges devront être gérés et que de nouvelles mauvaises surprises ne peuvent pas être exclues, les 3 milliards de francs déboursés sont jugés très favorables.

Bien qu’ils portent une énorme responsabilité dans la déchéance de celle qui fit la fierté de la place financière zurichoise, les Brady Dougan, Tidjane Thiam et Urs Rohner, anciens directeurs généraux ou président du conseil d’administration, semblent eux intouchables, même si le Département des finances ne précise pas jusqu’à quelle année sa décision porte.

«Il ne faut pas oublier que, chaque année, les rémunérations ont été approuvées par les actionnaires», rappelle Philippe Ehrenström, avocat spécialisé en droit du travail et des rémunérations à Genève. «Il faut que les actionnaires se réveillent, juge Vincent Kaufmann, directeur de la Fondation Ethos qui représente les intérêts de certaines caisses de pension. Souvent, on retrouve derrière eux des groupes tels que BlackRock, ou la division d’UBS chargée de la gestion d’actifs. Voir de tels montants ne les perturbe pas.»

Les bonus avaient déjà été critiqués lors de la grande crise financière, en 2008, lorsque les Etats avaient dû intervenir pour sauver des établissements tels qu’UBS. «Dans le secteur bancaire suisse, il y a eu un léger durcissement», observe Philippe Ehrenström. Avant de préciser que la Finma, l’autorité de surveillance des marchés financiers, édicte surtout des principes qui visent à favoriser des comportements responsables à long terme plutôt que des gains à court terme.

Acceptée en 2013 par les Suisses, l’initiative contre les rémunérations abusives, lancée par l’entrepreneur Peter Minder, a aussi eu un certain effet, conclut Vincent Kaufmann, rappelant que les hauts dirigeants de Credit Suisse ont renoncé à une partie de leurs rémunérations variables ces dernières années.

«Il faut que les actionnaires se réveillent» VINCENT KAUFMANN, DIRECTEUR DE LA FONDATION ETHOS

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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