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UBS, colosse aux pieds d’argile?

BANQUE Le total du bilan d’UBS nouvelle version représentera près de deux fois le PIB de la Suisse. De quoi faire craindre que sa chute puisse un jour entraîner le pays

MATHILDE FARINE, ZURICH ET SÉBASTIEN RUCHE t @mathildefarine t @sebruche

■ Mais avant un tel scénario catastrophe, l’entité devra déjà réussir une fusion bancaire qui risque d’accaparer ses ressources pendant un certain temps

Que crée la réunion de deux banques too big to fail? Un établissement «vraiment trop grand pour faire faillite», ou dont la chute entraînerait le pays? A la tête de quelque 5000 milliards d'actifs après la reprise de Credit Suisse, UBS confortera sa place de leader mondial de la gestion de fortune. Mais avec environ 1600 milliards de francs, le total du bilan de la grande banque nouvelle version représentera près de deux fois le produit intérieur brut de la Suisse. Un tel mastodonte pourrait-il être sauvé en cas de difficultés?

Avant d'imaginer des problèmes au sein de la nouvelle UBS, celle-ci devra déjà réussir une fusion bancaire. Or l'histoire prouve que ce genre d'opération, assez courante dans la gestion de fortune, n'est pas toujours couronnée de succès. «L'intégration de Credit Suisse risque d'accaparer les ressources d'UBS pendant un certain temps, sachant que les fusions bancaires n'ont pas toujours été des réussites en termes de création de valeur», observe Laurent Frésard, professeur de finance à l'Université de la Suisse italienne. Ce genre de rapprochement implique en effet de concilier des cultures d'entreprises, des approches des clients ou des gestions du risque différentes. «Il ne s'agit pas seulement de racheter une usine et de continuer à exploiter des machines», résume le chercheur basé à Lugano.

Etape suivante: s'assurer que le nouvel ensemble fonctionne sans accroc. Car étant donné sa taille, les enjeux sont encore plus élevés. Credit Suisse employait quelque 50 000 personnes fin 2022, contre 72 500 pour UBS.

Plus gros, l'établissement sera donc d'autant plus risqué. Professeur de finance à Zurich, Marc Chesney voit cela d'un très mauvais oeil: «On avait déjà deux mastodontes, celui-là sera encore plus énorme: les dangers s'accumulent et c'est inquiétant car ni les incitations à prendre des risques excessifs ni les rémunérations démesurées ne changeront.» Avant de poursuivre: «Qui va renflouer cette banque si elle a des problèmes? On nous imposera une solution? Ce qui s'est passé a mis en évidence que les régulations n'étaient pas adaptées.»

Si 100 milliards de francs n’ont pas suffi…

Apporter plus de 100 milliards de francs de liquidités «n'a pas rassuré les marchés et les clients à propos de Credit Suisse, alors combien faudrait-il injecter si la nouvelle UBS, une entreprise nettement plus grande, rencontre de sérieuses difficultés à l'avenir?, se demande encore Laurent Frésard. Probablement des centaines de milliards et on ne serait pas certain que le pays dispose de suffisamment de ressources pour supporter un tel apport».

Dans un passé récent, certains pays ont dû recourir au soutien d'organisations supranationales comme le FMI ou l'Union européenne lorsque leur système bancaire s'est trouvé sous forte pression, poursuit le spécialiste basé à Lugano. «Ce fut le cas de la Grèce dans les années 2012-2013, lorsque les banques étaient fermées et que des limites étaient en place sur les retraits: l'Union européenne est intervenue, en imposant en parallèle des restrictions sur la marge de manoeuvre laissée au monde politique pour gérer le pays.»

La Suisse aurait les moyens de soutenir la nouvelle UBS en cas de difficultés, estime pour sa part Jean-Charles Rochet, de l'Université de Genève: «à court terme, le pays pourra faire face, car la Confédération est peu endettée en comparaison internationale et grâce aux liquidités que pourrait apporter la Banque nationale, qui détient un portefeuille considérable d'actifs internationaux et bénéficie d'une excellente réputation au niveau international. Il faudrait toutefois une totale transparence sur les décisions prises».

Mais avant d'en arriver là, une réflexion s'impose concernant la place financière, selon deux axes, poursuit le chercheur en finance: «Tout d'abord, la question de la taille de la nouvelle UBS relève en partie de considérations politiques. Les autorités fédérales doivent se demander si la Suisse veut continuer à avoir une présence mondiale dans l'industrie financière, avec un champion qui représenterait le pays. Cette situation aurait aussi des avantages pour les autres secteurs de l'économie, mais comporterait des risques supplémentaires, vu la taille de la finance par rapport à l'économie suisse».

Ensuite, une fois l'intégration de Credit Suisse achevée, «il faudra réfléchir à une restructuration de l'industrie financière helvétique. Des unités de la nouvelle grande banque pourraient être séparées, vendues ou introduites en bourse. De nouvelles règles pourraient aussi être nécessaires pour éviter le risque d'une nouvelle détresse financière».

La clé, pour Dusan Isakov, professeur à l'Université de Fribourg, c'est l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma). «On est un pays paradoxal, on veut une grande banque mais on ne met pas les moyens pour la surveiller. Avec 500 équivalents plein-temps, c'est léger pour une surveillance et un garde-fou. Il faut dire ce qui est: on n'a pas d'autorité de surveillance.»

Il faudrait selon lui recruter davantage et mieux payer les employés de la Finma pour qu'ils ne cèdent pas aux sirènes du secteur privé, plus rémunérateur. En revanche, il est sceptique sur les amendes: «Certes, la Finma ne peut pas en donner, mais qu'est-ce que cela changerait? Credit Suisse en a reçu beaucoup d'autres autorités étrangères mais cela ne semble pas avoir modifié sa culture et ses pratiques.»

L'autre solution si l'on veut avoir une grande banque, c'est d'augmenter encore les exigences de fonds propres, ajoute Dusan Isakov. Elles sont déjà plus élevées en Suisse qu'ailleurs, mais cela n'a pas empêché Credit Suisse de vaciller. «Cela va faire débat car cela limitera la rentabilité, mais les banques doivent être ennuyeuses.»

«On avait déjà deux mastodontes, celui-là sera encore plus énorme: les dangers s’accumulent» MARC CHESNEY, PROFESSEUR DE FINANCE À ZURICH

«On est un pays paradoxal, on veut une grande banque mais on ne met pas les moyens pour la surveiller» DUSAN ISAKOV, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE FRIBOURG

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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