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Un centre des troubles digestifs

Un nouveau centre genevois compte améliorer les parcours de soins des personnes atteintes par une pathologie digestive grâce à une approche multidisciplinaire. Dédié aux généralistes, ce centre bénéficiera grandement aux patients et aux coûts

YANN BERNARDINELLI

Le système digestif comporte une multitude d'organes vitaux qui peuvent être atteints par une large palette de pathologies et de dysfonctionnements. De plus, certains symptômes peuvent être confondants, voire communs à plusieurs pathologies: des ballonnements, des vomissements, des diarrhées, de la constipation, des saignements gastro-intestinaux ou encore des problèmes de digestion. Selon les cas, identifier l'origine du problème afin de diriger la personne vers les bonnes analyses puis, vers le bon traitement peut s'avérer cornélien, même pour un spécialiste en gastro-entérologie, la spécialité médicale qui se concentre sur les maladies de l'appareil digestif. Pour un généraliste, la tâche peut s'avérer encore plus ardue. Il n'est donc pas rare que les personnes atteintes par un trouble du système digestif soient adressées à de multiples spécialistes. S'ensuit un parcours à rebondissements où les mêmes analyses sont répétées inutilement et lors duquel un précieux temps est gaspillé.

L'Hôpital de La Tour à Meyrin dans le canton de Genève a décidé de remédier à ces difficultés en créant un nouveau centre pour les pathologies digestives, une initiative innovante pour un hôpital privé. Il regroupe les connaissances de professionnels de soins issus de disciplines différentes. Son objectif est d'offrir aux médecins traitants des pistes de diagnostic – tout en les incluant dans les discussions, la prise de décision et le suivi – et des parcours de soins appropriés pour leurs patients.

Toute une panoplie

Comme leur nom l'indique, les pathologies digestives sont des affections qui perturbent le système digestif, c'est-à-dire l'ensemble des organes qui permettent de transformer les aliments en nutriments pour nourrir le corps, puis évacuer les déchets. Et la liste est longue: l'oesophage, l'estomac, le foie, la vésicule biliaire, le pancréas, l'intestin grêle, le côlon et le rectum. De nombreux facteurs peuvent être la cause d'une affection, notamment, les troubles métaboliques, les troubles auto-immuns, les allergies ou les intolérances alimentaires, les tumeurs, les malformations congénitales, sans oublier les maladies infectieuses et parasitaires.

Différentes spécialités médicales et techniques de diagnostic peuvent aider à identifier les organes touchés et les causes des maladies digestives. En premier lieu, la gastro-entérologie utilise des tests de laboratoire, des examens endoscopiques et des biopsies pour évaluer l'appareil digestif. La radiologie est très utile au diagnostic avec des examens tels que l'échographie, le scanner ou l'imagerie par résonance magnétique. La médecine nucléaire permet, entre autres, de réaliser des scintigraphies et des PETscans avec des substances faiblement radioactives, des techniques d'imagerie très précieuses pour l'aide au diagnostic de plusieurs affections digestives: «Nos examens peuvent être proposés dans des situations très spécifiques, d'où l'importance d'échanger entre experts autour de chaque cas afin de proposer l'investigation la plus adaptée», indique Claire Tabouret-Viaud, spécialiste en médecine nucléaire à l'Hôpital de La Tour.

La chirurgie digestive, quant à elle, permet de traiter diverses affections, tandis que les oncologues sont particulièrement importants pour la prise en charge des tumeurs malignes. Sylvain Terraz, radiologue à l'Hôpital de la Tour, estime qu'«une boîte à outils bien remplie» est nécessaire pour prendre en charge efficacement les pathologies digestives, car un seul médecin ou une seule spécialité ne suffisent pas.

Défi pour les médecins, cauchemar pour les patients

Devant la complexité du domaine, les médecins peuvent donc difficilement travailler seuls sans communiquer avec leurs collègues. De plus, les technologies et les connaissances ont énormément évolué ces dernières années, si bien qu'elles demandent désormais des professionnels ultra-spécialisés. «Nous avons tous nos domaines d'expertise et notre champ d'action est de plus en plus ciblé. Pour une prise en charge idéale et experte, il faut désormais additionner toutes nos qualifications pour avoir une vision globale et ne pas travailler en silo», indique Axel Andres, chirurgien au service de chirurgie viscérale de l'Hôpital de La Tour et initiateur du Centre La Tour des pathologies digestives.

Collaborer entre spécialistes, oui, mais encore faut-il que le patient arrive jusqu'à eux, car le premier défi se situe souvent au niveau du médecin traitant. Pour le spécialiste en radio-oncologie et radiothérapie de l'Hôpital de La Tour, Ambroise Champion, «les généralistes ne savent pas nécessairement à qui adresser les cas complexes. De plus, en cas de diagnostic négatif, un autre spécialiste va être recommandé et ainsi de suite. Il s'ensuit un parcours à rebondissements avec des examens à double et des lenteurs problématiques, car certaines pathologies digestives nécessitent une prise en charge rapide».

Donc, pour aborder les cas complexes il convient de pouvoir échanger, non seulement entre gastro-entérologues, chirurgiens digestifs, radiologues, oncologues, radio-oncologues ou spécialistes en médecine nucléaire, mais aussi avec les généralistes qui suivent souvent leurs patients depuis des années et les connaissent bien. «Nous ne parlons évidemment pas de pathologies fréquentes et simples comme l'appendicite, mais bien de cas complexes. Par exemple les tumeurs, les manifestations rares des pathologies fréquentes, les maladies tropicales, les kystes, les abcès, ou les patients avec beaucoup d'autres pathologies et plusieurs traitements», précise pour sa part Sylvain Terraz.

La multidisciplinarité en sauveuse

Le fait d'impliquer la collaboration de plusieurs professionnels de santé afin de traiter les patients de manière globale et personnalisée, c'est-à-dire en tenant compte de tous les aspects de leur santé et de leur bien-être, est connu sous le nom d'«approches multidisciplinaires». Elles existent depuis plusieurs décennies, et ont pris de l'ampleur au cours des dernières années. Elles sont très répandues dans le domaine de l'oncologie avec les fameux tumor boards, des réunions qui rassemblent des spécialistes pour discuter de manière collaborative des cas de cancer afin d'élaborer un plan de traitement individualisé pour chaque patient.

Les avantages de telles approches sont nombreux. Tout d'abord, elles permettent une meilleure prise en charge des patients en tenant compte de l'ensemble de leurs besoins, qu'ils soient physiques, psychologiques ou sociaux. De plus, elles permettent d'optimiser la coordination des soins, en évitant les doublons donc en réduisant les coûts. Enfin, ces approches favorisent la réduction des erreurs médicales. Ainsi, les patients, mais aussi les systèmes de santé en sont les grands bénéficiaires.

Un centre dédié

Si ces approches se répandent, elles sont encore très peu présentes pour les maladies digestives. Selon Sylvain Terraz, «Seuls les milieux hospitaliers universitaires avaient jusqu'à présent suffisamment de spécialistes pour pouvoir mettre en place de telles approches», informe-t-il en expert, lui qui a codirigé un centre dédié aux pathologies hépatobiliaires pendant des années.

A la suite de l'arrivée d'Axel Andres à l'Hôpital de La Tour avec Nicolas Buchs, chirurgien au sein du même service, une taille critique et une variété de disciplines ont été atteintes pour permettre la création d'un centre dédié. Ainsi, depuis janvier 2023, Le Centre La Tour des pathologies digestives (CLPD) propose ses services pour les cas soumis par les médecins généralistes du canton et de la région.

Le centre est un groupe multidisciplinaire composé de 18 médecins hautement qualifiés de l'Hôpital de La Tour. «L'expertise de chacun nourrit la discussion. De plus, c'est aussi l'occasion de présenter les dernières avancées dans nos spécialités respectives afin de nous tenir tous à jour», précise En-Ling Leung Ki, spécialiste en gastro-entérologie et en endoscopie interventionnelle à l'Hôpital de La Tour.

Le centre se réunit actuellement toutes les deux semaines pour discuter des cas soumis, en portant une attention particulière aux suspicions de tumeurs malignes. «Dans le cas d'un cancer avéré, il y a plusieurs choses à faire sans perdre trop de temps. La discussion permet d'identifier la meilleure stratégie de soin et d'anticiper la rencontre avec les bons spécialistes. Grâce au centre tout va plus vite et plus simplement», indique Francesco Sciotto, spécialiste en oncologie médicale à l'Hôpital de la Tour. Il précise que le centre ne se substitue pas à un tumor board et qu'en cas de pathologie maligne avérée, le cas est confié au service compétent, à La Tour ou à l'externe.

Ensuite, et pour chaque cas, le centre crée un résumé, basé sur les avis des différents experts, y compris sur celui du généraliste pour résoudre le cas de son patient. «Les médecins traitants connaissent mieux les personnes et leur historique médical que nous, leur avis est un indispensable avant de décider quoi que ce soit. Leur aide est vraiment inestimable», précise Axel Andres. Le consilium est pris en charge par l'assurance obligatoire de soins. Parlez-en à votre généraliste. ■

«L’expertise de chacun nourrit la discussion. De plus, c’est aussi l’occasion de présenter les dernières avancées dans nos spécialités respectives afin de nous tenir tous à jour»

EN-LING LEUNG KI, SPÉCIALISTE EN GASTRO-ENTÉROLOGIE ET EN ENDOSCOPIE INTERVENTIONNELLE

Suisse

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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