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La vert’libérale Marie-Claude Sawerschel et Philippe Morel du MCG croisent le fer autour du rôle de l’Etat

Le candidat du MCG Philippe Morel navigue entre besoin d’efficience et préservation de la fonction publique, alors que la vert’libérale Marie-Claude Sawerschel rêve d’une petite révolution dans l’administration

PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIA REVELLO ET MARC GUÉNIAT @sylviarevello

La vert'libérale Marie-Claude Sawerschel brigue un siège au Conseil d'Etat pour la première fois. Candidat sous la bannière du Mouvement citoyen genevois (MCG), Philippe Morel en est à sa troisième tentative après un passage au Centre et au PLR. Sortir Genève des blocages: les deux prétendants caressent ce voeu pieux et proposent différents chemins pour y arriver. Au-delà des thèmes clés de leur programme comme la formation, la fiscalité ou l'emploi, sur lesquels ils ne sont pas toujours d'accord, c'est autour du rôle de l'Etat qu'ils entendent agir en priorité.

Les vert’libéraux rêvent de rentrer au Grand Conseil, le MCG a peur d’en être exclu. Vous êtes en concurrence directe… pour jouer le rôle de pivot?

Marie-Claude Sawerschel: On vise évidemment le quorum. On y travaille depuis trois ans mais il faut reconnaître que le grand nombre de formations en lice cannibalise les suffrages. Les vert'libéraux ont leur place au Grand Conseil pour faire avancer Genève. Le parlement est à l'arrêt, les postures sont cristallisées. Faire alliance sur des sujets est devenu très difficile. Notre ambition n'est pas de jouer les pivots, mais d'être une force centriste avec une colonne vertébrale claire: une économie forte pour un social efficace.

Philippe Morel: Contrairement à ce qui se raconte, le MCG ne craint pas de rater le quorum. Il est déterminé à trouver des solutions aux problèmes des Genevois. Le MCG n'a pas le dogmatisme d'un parti mais le pragmatisme d'un mouvement. Il est local, et n'est donc pas soumis à des injonctions d'instances nationales. Personnellement, je ne vois pas les vert'libéraux comme des concurrents mais comme une force complémentaire.

Concrètement, comment trouver des solutions pour sortir des blocages?

P. M.: Les solutions viendront essentiellement des capacités et des volontés individuelles des dirigeants. Les conseillers d'Etat doivent se respecter et travailler ensemble pour le bien commun. Le Grand Conseil est paralysé par un très grand nombre d'objets sans rapport avec les préoccupations de la population. Cet éloignement incite au désintérêt de la politique. M.-C. S.: L'arrivée d'un nouveau parti permettra précisément de rééquilibrer les forces. Ces élections vont donner un coup de sac salutaire pour débloquer une situation figée dont les parlementaires ne sont eux-mêmes pas satisfaits. P. M.: Il ne faut pas croire qu'une dizaine de députés vont changer la culture du Grand Conseil…

A vos yeux, Marie-Claude Sawerschel, l’impasse provient surtout du combat fiscal.

M.-C. S.: En effet, il faut revoir la répartition des ressources à Genève en menant des réformes sous forme de paquet afin de créer une «paix fiscale». Comment? En allégeant l'impôt sur la fortune, aujourd'hui dissuasif, et en diminuant celui sur les revenus de la classe moyenne. L'imposition des concubins en cas d'héritage doit aussi être revue. En contrepartie, l'Etat doit taxer la valeur que prend un terrain lorsqu'il passe en densification.

P. M.: Gauche et droite sont irréconciliables sur la fiscalité. Ce n'est pas un bon sujet pour apaiser le parlement. La fiscalité devient confiscatoire à Genève. Le MCG a déposé un projet de loi pour diminuer jusqu'à 12% la taxation de la classe moyenne, soit les revenus entre 77000 et 160000 francs. Du côté des entreprises, on prône l'abolition de l'imposition sur l'outil de travail et de la taxe professionnelle avec une compensation pour les communes. M.-C. S.: Vous illustrez ce que je dénonce. La polarisation empêche Genève d'avancer. D'un côté, vous combattez les initiatives de la gauche, mais de l'autre vous participez au pugilat avec vos propositions.

Le canton va enregistrer un excédent record, que faudrait-il faire de cet argent?

M.-C. S.: Le plan climat cantonal est très ambitieux mais Genève n'y arrivera pas en l'état. Je propose de créer une plateforme qui réunirait les entrepreneurs, les scientifiques, les start-up et les financiers pour investir massivement dans cette transition.

P. M.: Plutôt que de mener une politique de sanctions et de limitations comme le font Les Vert·e·s, il faut considérer que la «révolution» énergétique est une opportunité et va créer de nouveaux métiers. Les cellules photovoltaïques, par exemple, sont fabriquées pour 70% en Chine, alors qu'on pourrait les faire et les développer ici. Très concrètement, il faut baisser les impôts des entreprises et des personnes, et investir dans un «plan Marshall» pour la formation.

Ce plan Marshall, en quoi consistet-il?

P. M.: L'école est en péril depuis trente ans, elle est désorientée, bombardée de réformes. Les enseignants ne sont plus respectés ni par les élèves ni par la société, et cela est grave. Au lieu de former, ils éduquent: 15% des élèves quittent le cycle d'orientation sans savoir ni écrire ni compter correctement. C'est inadmissible. Il faut modifier les programmes scolaires pour permettre aux élèves d'acquérir ces compétences indispensables, et d'autres, quitte à sortir du Plan d'étude romand (PER). Il faut mieux informer les élèves sur les différents métiers en leur proposant des stages durant le cycle d'orientation. Et revaloriser l'apprentissage, financièrement et dans sa symbolique, en faisant coïncider l'offre de formation avec les débouchés proposés par l'économie locale. Investir de l'argent sera nécessaire. A la Haute Ecole d'informatique par exemple, il y a 56 places par an pour plus de 200 candidats! Une revue des différentes formations offertes doit être effectuée.

Marie-Claude Sawerschel, vous revendiquez aussi un «changement de paradigme radical» à l’école. Concrètement, que proposez-vous?

M.-C. S.: Que l'on se rassure, les enseignants enseignent… Les objectifs scolaires sont fixés dans le PER et il faut y rester. C'est l'approche qu'il faut changer. Une des priorités est de redonner de l'autonomie aux établissements. Aujourd'hui, les impulsions ne peuvent venir que de la tête du département. Il faut faire l'inverse, partir de la base pour permettre aux enseignants de porter des projets innovants. De même, le cycle d'orientation filtre actuellement les élèves par leurs faiblesses et ne tient pas compte des compétences sociales qui sont tout aussi importantes dans la vie que les mathématiques ou le français: l'organisation, le travail en équipe, la confiance en soi. Dans notre projet de réforme, nous proposons notamment de valoriser ces capacités afin de mieux lutter contre le décrochage scolaire.

Philippe Morel, vos mesures pour la mobilité sont très axées sur le trafic transfrontalier. Vous prônez notamment des P+R financés par la France et un péage autour du canton pour les frontaliers. Est-ce réaliste?

P. M.: Aujourd'hui, Genève est un capharnaüm, un chaos permanent. A mon sens, la mobilité professionnelle et les transports publics doivent avoir la priorité dans l'hypercentre. Dans la moyenne ceinture, le libre choix doit être garanti, notamment pour les voitures.

C’est précisément ce que prévoit la loi sur la mobilité cohérente votée en 2016 par le peuple…

P. M.: Loi qui n'est pas respectée! Bien que nécessaires, les pistes cyclables sont de taille souvent démesurée. Sur le pont du MontBlanc, les plaques non genevoises représentent 55% du trafic et on compte environ 100000 passages de véhicules aux frontières par jour. Oui, la France doit construire des P+R pour permettre à ces personnes d'utiliser les transports publics sur notre canton. Il faut aussi adapter les horaires du CEVA à ceux des grandes entreprises, comme les HUG, et favoriser le covoiturage.

M.-C. S.: La mobilité doit être décarbonée. La vitesse commerciale des transports publics est très basse, ce qui décourage les usagers. Il faut impérativement investir pour améliorer l'offre et permettre aux bus de circuler en site propre. Les pistes cyclables doivent également être sécurisées. Les piétons doivent avoir la priorité dans l'hypercentre, ce qui répond aussi à un objectif de santé publique. Les P+R sont efficaces, quitte à ce que Genève participe à leur financement.

Philippe Morel, vous ne voulez plus de frontaliers à l’Etat. Le canton peut-il se le permettre, notamment aux HUG où vous avez exercé et où 65% des infirmières vivent en France?

P. M.: Notre économie et nos services ont besoin de main-d'oeuvre extérieure. Mais il y a 104000 frontaliers, et compte tenu du taux de chômage de 10% (chiffre BIT) nombre de ces emplois devraient être occupés par des travailleurs locaux. La préférence cantonale est peu appliquée dans certains départements du secteur public. Les responsables RH étrangers dans le secteur public constituent un problème. De plus, les marchés publics genevois devraient en priorité être attribués aux entreprises de notre canton!

Vous parlez de dumping salarial, qui s’exerce dans le secteur privé, mais toutes vos mesures concernent le secteur public.

«Plutôt que d’augmenter les ressources, il faut réfléchir à leur réallocation»

MARIE-CLAUDE SAWERSCHEL, PARTI VERT’LIBÉRAL

«La préférence cantonale est peu appliquée dans certains départements du secteur public»

PHILIPPE MOREL, MOUVEMENT CITOYENS GENEVOIS

P. M.: Dans le privé, le dumping existe parce que les entreprises ne trouvent pas les compétences à Genève. Les Suisses ne veulent pas exercer certains métiers. D'où l'accent mis sur la formation dans notre programme.

M.-C. S.: La préférence cantonale existe mais le choix définitif est laissé à l'employeur. La question des compétences est centrale. Genève doit se mettre en phase avec les besoins du marché local. Sur le dumping salarial, il faut des contrôles et des sanctions. Sur les marchés publics, il faut tenir compte d'une composante écologique.

Le MCG mène un programme de droite, mais soutient aussi fortement la fonction publique. Tout cela est-il bien cohérent?

P. M.: La fonction publique est la colonne vertébrale de notre canton. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas remettre en question le train de vie de l'Etat. Le MCG estime nécessaire de revoir les dépenses publiques à la baisse de manière progressive.

M.-C. S.: L'efficience de l'administration est au coeur de notre programme. Il faut libérer les forces vives de l'Etat. Lutter contre le présentéisme actif: des collaborateurs tentent d'améliorer les choses, leurs projets sont oubliés et ils se découragent. Zurich dépense moins tout en étant plus efficace. Plutôt que d'augmenter les ressources, il faut réfléchir à leur réallocation.

P. M.: Effectivement, beaucoup de fonctionnaires travaillent très bien. L'efficience doit être le maître mot. Aux HUG, à l'image d'autres hôpitaux universitaires, l'hypertrophie de la hiérarchie est néfaste. Les infirmières sont paralysées par 35% de leur temps consacré à des tâches administratives. ■

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