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En Suisse romande, une précarité cachée derrière des chiffres rassurants

Alors que les indicateurs socioéconomiques sont plutôt bons, les Centres sociaux protestants dressent un constat préoccupant sur le terrain

SYLVIA REVELLO @sylviarevello

Des dépenses pour l’aide sociale en baisse de 1,2% en 2021, un taux de chômage historiquement bas ou encore une inflation modérée par rapport aux voisins européens: ces indicateurs auraient de quoi rassurer. Mais pour les Centres sociaux protestants (CSP) romands, ces chiffres cachent une réalité préoccupante. Sur le terrain, la précarité augmente bel et bien, mais se manifeste sous d’autres formes: le recours aux aides directes, notamment les colis alimentaires et les vêtements de seconde main, ou encore les aides privées.

Fréquentations en hausse

Autre symptôme de cette situation paradoxale: l’augmentation du nombre de ménages qui ne parviennent pas à faire face aux charges de première nécessité, comme le loyer ou les primes d’assurance maladie, et s’adressent directement aux CSP. L’antenne vaudoise enregistre ainsi un doublement des demandes d’aides financières entre 2019 et 2022, passant de 102 ménages soutenus pour un montant de 88000 francs à 198 familles pour 201000 francs. Si le nombre de dossiers traités est resté stable à Genève, les montants octroyés ont eux aussi augmenté, passant de 345000 francs en 2019 à 422000 en 2022. Comment l’expliquer? «Les personnes que la pandémie a forcées à sortir de l’ombre échappent toujours au filet social et font appel à d’autres formes de solidarité», évoque Caroline Regamey, chargée de politique et action sociales au CSP Vaud.

De même, à Genève, la fréquentation des Colis du coeur a explosé depuis la pandémie pour s’établir à 13600 personnes en 2022. Idem pour le Vestiaire social (+14% sans compter les réfugiés ukrainiens). Le profil des bénéficiaires est multiple, allant de la classe moyenne inférieure aux personnes détentrices de permis B ou C, qui renoncent à solliciter des aides par crainte de voir leur autorisation de séjour non renouvelée, ou encore aux requérants d’asile. «On peut supposer que la pandémie a démocratisé ces soutiens qui ne nécessitent pas une identification auprès des autorités, contrairement à l’aide sociale», indique Alain Bolle, directeur du CSP Genève.

Face à la crise énergétique, à l’inflation et à la hausse des primes d’assurance maladie, les cantons ont pris des mesures éparses: rentes AVS et AI partiellement indexées, subsides extraordinaires, aide sociale, subsides et allocations revus à la hausse. «Des efforts bienvenus mais qui, encore une fois, ne touchent que les ayants droit, relève Pierre Ammann, directeur du CSP Berne-Jura. Les personnes sous les radars restent fragiles et risquent de contracter des dettes pour faire face.»

Cartographier les besoins

Au chapitre des recommandations, les CSP plaident pour intensifier la lutte contre le non-recours aux prestations, notamment chez les permis B et C, mais aussi pour soutenir la classe moyenne inférieure qui n’atteint pas les barèmes d’aide. Autre enjeu: mieux cartographier les besoins. Pour l’heure, seul le canton de Vaud dispose d’un Observatoire des précarités, créé en mai 2022.

Cette semaine, l’Office fédéral de la statistique indiquait que, en 2021, les dépenses pour l’ensemble des prestations sociales ont augmenté de 0,7% pour atteindre 8,8 milliards de francs au niveau national. Au total, plus de 800000 personnes, soit 9,3% de la population, ont bénéficié d’au moins une aide. «A l’heure où 109 milliards sont débloqués du jour au lendemain par la Confédération pour sauver Credit Suisse et où le canton de Genève annonce un excédent de 1,3 milliard, il y a de quoi s’interroger sur les choix politiques», glisse Alain Bolle. ■

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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