Le Temps epaper

La thèse du suicide collectif confirmée à Montreux

Une année après la chute fatale d’une famille depuis le balcon de son appartement, le Ministère public vaudois confirme l’hypothèse de sauts volontaires et classe l’affaire. L’adolescent survivant est rétabli et mis sous tutelle

SAMI ZAÏBI @ZaibiSami

Le 24 mars 2022 à Montreux, à 7h du matin devant le casino, une famille entière était retrouvée gisante après être tombée du balcon de son appartement du 7e étage. La mère de 41 ans, sa soeur jumelle, le père de 40 ans et la fille du couple, âgée de 8 ans, sont morts sur le coup. Quant au fils du couple, alors âgé de 15 ans, il a miraculeusement survécu, sa chute ayant été amortie par un arbre.

Malgré les efforts considérables déployés tant par les journalistes que par la police, le funeste événement a conservé tout son mystère. Sans l’éclaircir totalement, l’instruction pénale diligentée par le Ministère public vaudois lève une partie du voile. Elle s’appuie notamment sur les autopsies des corps, l’analyse des ordinateurs et téléphones de la famille, ainsi que les images d’une caméra de surveillance du casino. Le seul survivant est physiquement rétabli et mis sous tutelle, mais ne se souvient pas du déroulé des événements.

Le communiqué de presse publié hier matin par le Ministère public vaudois confirme plusieurs pistes déjà évoquées par la presse et les premiers éléments de l’enquête. La famille «vivait en autarcie», avait constitué des réserves de nourriture, vêtements, médicaments et produits d’hygiène. Elle «suivait une doctrine survivaliste et complotiste» et se méfiait de tout ce que représentait l’Etat, «notamment l’école et la police». Les deux enfants, scolarisés à domicile, «n’avaient pour ainsi dire aucun contact extérieur».

«La famille suivait une doctrine survivaliste et complotiste» LE MINISTÈRE PUBLIC VAUDOIS

Comme le soupçonnait l’ex-mari de la jumelle, que nous avions retrouvé, la pandémie et le déclenchement de la guerre en Ukraine «semblent avoir également affecté les membres de la famille». L’enquête n’a toutefois pas révélé de lien «avec des personnes, des groupes ou des mouvances qui auraient pu inciter les trois adultes à mettre un terme à leurs jours en emportant les deux enfants».

Deux soeurs dominantes

Le Ministère public souligne en revanche un élément nouveau. Il pointe les «personnalités dominantes et possessives» de la mère, orthodontiste sans emploi, et sa soeur, ophtalmologue officiant dans un cabinet de Morges. Contrastant avec un «père effacé», les deux femmes, «très contrôlantes», «exerçaient une forte emprise sur les enfants et les maintenaient dans la croyance d’un monde qui leur était hostile».

L’autre nouveauté révélée par le procureur chargé de l’affaire concerne la préméditation du geste. La famille avait préparé, répété et organisé son départ vers «un monde meilleur», selon l’expression retrouvée dans des échanges de messages. Elle n’avait toutefois pas fixé de date précise et attendait «un événement déclencheur». Ce que constitua l’arrivée de deux agents de police, qui faisait suite à un mandat d’amener préfectoral à l’encontre du père, lequel ne répondait pas aux sollicitations des autorités vaudoises concernant la scolarisation à domicile de son fils.

Au matin du 24 mars, les agents sonnent à l’appartement de la famille à 6h45 et échangent oralement à travers la porte. Celle-ci est verrouillée et bloquée de l’intérieur par des affaires «dénotant une volonté de se barricader». Puis les agents n’entendent plus rien. Les membres de la famille se sont jetés dans le vide à tour de rôle, dans un intervalle de cinq minutes.

Mais que s’est-il passé précisément pendant ces quelques minutes sur le balcon? A moins que le fils aîné recouvre la mémoire, on ne le saura certainement jamais. Toutefois, un faisceau d’indices tend vers la thèse des sauts volontaires: absence de traces de lutte dans l’appartement, absence de cris et de lésions non liées à la chute, présence d’un escabeau permettant d’enjamber la rambarde. Pour toutes ces raisons, le procureur en charge retient la thèse du suicide collectif et décide de rendre une ordonnance de classement d’ici quelques semaines. ■

Suisse

fr-ch

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281651079349396

Le Temps SA