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Le poisson pourrit toujours par la tête

THIERRY LOMBARD ANCIEN ASSOCIÉ DE BANQUIERS PRIVÉS DE 1982 À 2014

Ce proverbe chinois illustre, pour moi qui suis un banquier suisse fier de son métier et de sa place financière, mon sentiment concernant l’origine de la disparition d’une très belle banque, qui porte le nom de notre pays et qui a contribué à ses débuts à tout ce dont un Suisse peut et doit être reconnaissant visà-vis de ses prédécesseurs. A l’origine de sa disparition, il y a les bonnes intentions de son conseil et de sa direction qui n’ont jamais été suivies d’actions, et une capacité exceptionnelle année après année, à faire pire.

Comme citoyen – mais plus particulièrement comme banquier – je ne peux plus accepter la totale incompétence de ces conseils d’administration et de ces directions qui ont déjà détruit Swissair, UBS et aujourd’hui Credit Suisse, entre autres.

Il ne fallait pas être devin pour voir que la culture de Credit Suisse était pourrie, à la recherche de paris et de gains dangereux, sans éthique, avec des systèmes de contrôle inadéquats, et sans interventions fortes de la part de ses actionnaires étrangers (et plus suisses) et du gendarme des banques (la Finma).

Nous avons donc une fois de plus vécu une descente aux enfers, la destruction de l’image d’une banque portant le nom de notre pays, l’enrichissement inacceptable de ses dirigeants (au total encore 42,6 millions en 2022) alors que ceux-ci étaient en train de détruire un fleuron bancaire du XIXe siècle (sans compter plus de 12 milliards d’amendes aux USA et dans différentes juridictions, auxquels il faut rajouter des pertes colossales). Pour en arriver à devoir sauver cet établissement à coups de dizaines de milliards, simplement parce que l’on doit sauver les banques plutôt que l’industrie ou le commerce.

Cette situation ne devrait-elle pas avoir comme corollaire une plus haute responsabilité des dirigeants bancaires, un contrôle plus efficace de la Finma, et des rémunérations liées au cours du titre de l’établissement? Les anciens présidents et membres du conseil d’administration de Credit Suisse et la direction toucheraient aujourd’hui 76 centimes en tout et pour tout par titre reçu pour leurs activités au sein de la banque, et non des dizaines de millions!

A l’occasion de cette faillite, il me semblerait plus utile pour les banquiers, et surtout pour les organismes de contrôle des banques, de reréflechir à des notions apparemment totalement dépassées concernant la santé et la solidité d’une banque; le capital n’est pas suffisant et le ratio de liquidités non plus si la confiance n’est plus là, et probablement les organes de surveillance des banques devraient-ils revenir à plus de bon sens, et s’adapter a un monde beaucoup plus complexe, rapide et technologique, et agir à temps.

Pour terminer ce tour de piste, j’aimerais espérer que toutes les personnes présentes à la conférence de presse de dimanche soir s’attellent à l’exercice suivant: comme expliquer, justifier et faire comprendre aux citoyens suisses que pour sauver une banque, il n’y a pas de limite de montants, et que des milliards, voire des dizaines de milliards, doivent être mis à disposition, quand ces mêmes milliards font cruellement défaut pour le changement climatique, la santé, l’éducation, l’innovation, la sécurité, les migrants, le monde humanitaire et surtout, pour le futur de notre pays vu avec une vision comme celle d’Alfred Escher pour le XXIe siècle.

Une triste page se tourne, à la suite d’une succession d’erreurs graves durant ces dernières décennies qui ne furent jamais justement sanctionnées.

Que celles et ceux responsables de cette débâcle soient mis au pilori et au minimum placés devant leurs erreurs et leurs responsabilités; que des leçons soient tirées en 2023 des erreurs faites; et que toutes celles et ceux qui servirent depuis sa création le Credit Suisse et la Banque suisse avec compétence, éthique et passion et fierté, soient remerciés.

Une triste page se tourne, à la suite d’une succession d’erreurs graves durant ces dernières décennies qui ne furent jamais justement sanctionnées

Débats

fr-ch

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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