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Un pavé dans la mare judiciaire

GENÈVE La Chambre pénale de recours reproche une série de manquements à la procureure Caroline Babel Casutt et estime que son image est assez entachée pour justifier sa mise à l’écart. Le contenu du dossier est préservé, pour le moment

FATI MANSOUR @fatimansour

Ce devait être le méga-dossier immobilier de la décennie, qui rendrait justice à 188 parties plaignantes flouées par deux promoteurs dans l’affaire des constructions fantômes. C’était avant qu’on ne découvre que les conversations entre les prévenus et leurs avocats avait été écoutées et transcrites, au mépris du secret professionnel. Un scandale qui a débouché hier sur la récusation de la procureure Caroline Babel Casutt.

Une petite bombe a explosé hier sur le terrain judiciaire genevois. La Chambre pénale de recours a prononcé la récusation de la procureure Caroline Babel Casutt dans la désormais célèbre affaire des constructions fantômes. Une succession de manquements – synonyme de violation grave des devoirs et donc de possible partialité – est pointée du doigt en relation avec l'écoute de conversations entre les prévenus et leurs avocats. La demande d'annulation des actes d'instruction est toutefois rejetée et cette patate chaude plus ou moins refilée à l'autorité qui doit encore juger le duo de promoteurs en appel.

Me Nicola Meier, le défenseur d'un des prévenus, évoque «une décision fondamentale» pour tous les justiciables et pour l'Etat de droit. «Cette récusation rappelle quelles sont les conséquences pour ceux qui doivent veiller au respect du secret professionnel de l'avocat et qui passent outre, quelle que soit leur motivation.» L'avocat estime qu'il s'agit d'une première étape. «D'autres suivront, dont je ne doute pas qu'elles prendront la mesure du scandale dénoncé.»

Zones d’ombre

Dans un arrêt de 43 pages, les juges reviennent sur cette folle affaire qui avait entraîné, début novembre, la suspension immédiate du procès de deuxième instance après la découverte d'une surprise de taille. Les conversations des deux rois de l'esbroufe immobilière (qui ne contestaient à ce stade plus leur culpabilité mais seulement leur peine de 4 ans de prison) avaient été écoutées et transcrites même lorsque ceux-ci parlaient avec leurs avocats de l'époque, sans égard aucun pour la protection du secret professionnel.

Aux yeux de la cour, quelque chose a clairement dysfonctionné dans cette histoire, même si la mesure de surveillance était licite et que rien ne permet de conclure que la procureure (désormais juge au civil) avait conféré un blancseing aux inspecteurs pour violer le secret professionnel de l'avocat. Les juges émettent des doutes sur la version de la magistrate tout en laissant ce point indécis. «Elle soutient n'avoir pas régulièrement discuté, avec la Brigade financière, de la progression des écoutes en temps réel, ce qui paraît surprenant au vu de l'importance de la mesure, de sa durée (trois mois) et de son coût financier.»

Rien ne permet non plus de contredire la magistrate lorsqu'elle affirme ne pas avoir ordonné, ni avoir su que les conversations avaient été transcrites, relève la décision. «On peine néanmoins à comprendre que la police ait pu prendre seule cette initiative, dès lors qu'elle agit sur mandat de la procureure, sauf à considérer que de telles transcriptions lui seraient utiles pour rapporter le résultat des écoutes à la citée.» Quoi qu'il en soit, une feuille d'accompagnement laissait peu de doutes sur le fait que les inspecteurs avaient effectivement écouté les échanges couverts par le secret de l'avocat.

Trop d’entorses

Au final, la cour estime que la procureure n'a pas pris les mesures nécessaires pour faire procéder à l'effacement de ces conversations avant leur archivage sur DVD. A réception de ces DVD, elle n'a rien fait pour en expurger les conversations, de sorte que celles-ci se sont retrouvées à la procédure. Enfin, elle ne les a pas remis au prévenu qui avait préalablement demandé copie du dossier de surveillance secrète. Autant d'entorses susceptibles de faire croire aux deux promoteurs que la procédure avait été conduite de manière inéquitable.

Les juges ne concluent toutefois pas (de par la seule présence des DVD au dossier) que la procureure aurait exploité le contenu des conversations litigieuses pour faire avancer son enquête. Le planning de l'instruction «tend plutôt à démontrer le contraire», à savoir que les auditions des prévenus et la perquisition avaient été planifiées avant cette surveillance secrète.

«On peine à comprendre que la police ait pu prendre seule cette initiative, dès lors qu’elle agit sur mandat de la procureure» LES JUGES

S'agissant des effets de cette récusation, la cour n'en voit aucun, du moins à son niveau et à ce stade. La demande d'annulation de tous les actes entrepris par la procureure est rejetée, l'instruction étant terminée et l'affaire déjà jugée en première instance. Il appartiendra à la Cour d'appel d'examiner de plus près les moyens de preuve. Sur ce point, Me Meier hésite encore entre solliciter le Tribunal fédéral ou s'en tenir à la voie dessinée. Plus important, il fait remarquer que la récusation a été prononcée dès juillet 2019 (date du dernier manquement constaté), soit avant le dépôt de l'acte d'accusation. «Celui-ci ne résistera pas», espère l'avocat.

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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