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A Moscou, Xi Jinping se pose en alternative à l’Occident

Les présidents russe et chinois scellent un nouvel accord à l'occasion de la visite de Xi Jinping en Russie et invoquent une «médiation de paix» de la Chine – qui, pour l'heure, n'existe pas – sur la guerre en Ukraine

FRÉDÉRIC KOLLER @frederickoller

Pour la première fois depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, le président chinois s’est rendu à Moscou. Montrant qu’il n’est nullement isolé, Poutine a affiché sa proximité avec son homologue

■ A la veille de leur rencontre, tous deux ont publié une tribune, explicitant les attentes d’une relation qualifiée de «sans précédent». Leur contenu éclaire leur posture sur la scène internationale

■ Si la Russie développe une dépendance croissante vis-à-vis de la deuxième puissance mondiale, la Chine, elle, se pose en médiatrice de paix. Les Etats-Unis, quant à eux, craignent d’être marginalisés

Xi Jinping et Vladimir Poutine ont attendu le retour du printemps pour organiser leurs retrouvailles, à Moscou, avec une visite d’Etat de trois jours. De retour de Crimée et après un crochet nocturne par Marioupol – la ville martyre ukrainienne annexée –, le président russe reçoit ainsi son homologue chinois après avoir réaffirmé le contrôle de ses «nouveaux territoires». Le président chinois est arrivé, pour sa part, au terme d’une séquence politique – congrès du Parti communiste en octobre, réunion du parlement en mars – qui l’a confirmé comme unique détenteur du pouvoir dans son pays. Il cherche à présent à jouer un rôle plus affirmé sur la scène internationale.

Mardi, les deux chefs d’Etat ont signé un nouvel accord destiné à renforcer leur coopération. Il est notamment question de construire un gazoduc, Force de Sibérie 2, qui reliera la Sibérie au nord-ouest de la Chine. Evoquant un «plan de paix chinois», Vladimir Poutine a estimé que «l’Occident et Kiev» n’étaient toutefois pas disposés à y répondre favorablement.

A la veille de leur rencontre, les deux présidents ont chacun publié une tribune pour expliciter leurs attentes à l’égard d’une relation qualifiée de «sans précédent». Le texte de Vladimir Poutine intitulé «Un partenariat pour l’avenir» a été relayé par LeQuotidien du peuple, l’organe de presse du Parti communiste chinois. Celui de Xi Jinping – «Aller de l’avant pour forger un nouveau chapitre de l’amitié sino-russe» – a été, pour sa part, publié par l’agence officielle russe RIA Novosti. Leur contenu éclaire leurs attentes respectives. Et leurs différences. En voici un décryptage:

1 Une relation asymétrique

Le ton du président russe est chaleureux et complice. Vladimir Poutine évoque tout à la fois «son bon vieil ami», le «camarade Xi Jinping», avec qui il se tient «debout, épaule contre épaule, comme un rocher au milieu des courants rapides». Il cite Confucius et la joie du sage de revoir un ami venu de loin. Il évoque enfin une alliance «sans limites ni tabous» qui surpasse celle de la guerre froide, lorsque «l’un dirigeait et l’autre obéissait», allusion qui peut faire référence à l’alliance sino-soviétique des années 1950.

Le texte de Xi Jinping est plus sobre dans l’évocation de cette amitié en s’en tenant aux textes et aux traités. Une relation qui n’est pas qualifiée d’alliance. Au contraire. Pékin prône une coopération qui «s’engage à ne pas conclure d’alliance, à ne pas chercher la confrontation et à ne pas cibler de tierce partie». Elle a ses limites. Le président chinois parle d’un «nouveau modèle de relations entre grands pays», une qualification qu’il proposait autrefois aux EtatsUnis – sous Barack Obama – mais que ceux-ci n’ont jamais reprise à leur compte. Le «grand frère soviétique» est en réalité devenu le partenaire junior de la Chine «communiste»

2 Le message de Moscou: nous ne sommes pas seuls

En accueillant son «ami» Xi au Kremlin, Vladimir Poutine cherche à montrer à son peuple et au reste du monde que la Russie n’est pas isolée. La deuxième puissance économique est à ses côtés, ce qui l’assure de pouvoir se maintenir face aux sanctions européennes et américaines. «Nos pays, avec d’autres acteurs partageant les mêmes idées, défendent la formation d’un ordre mondial multipolaire plus juste», écrit le président russe. Dans un monde qui change, c’est au contraire l’«Occident collectif» qui s’isole en «pariant sur le destin d’Etats et de peuples entiers» au nom de «dogmes obsolètes». C’est la politique des Etats-Unis et de l’OTAN qui est ici visée. Une politique qui menacerait non seulement la Russie, mais aussi la Chine. Dans ce combat, Moscou est aux côtés de Pékin.

3 Le message de Pékin: nous sommes responsables

Depuis la Conférence de Munich sur la sécurité, en février dernier, et l’intervention de son chef de la diplomatie Wang Yi, la Chine veut imposer l’image d’un Etat qui prend ses responsabilités en proposant des solutions pour résoudre la «crise ukrainienne». Tout en continuant à nier qu’il y ait une guerre en Ukraine – et donc qu’il y ait un agresseur – Xi Jinping veut se présenter à Moscou en médiateur de paix. Il se réfère à un document en 12 points, présenté le 24 février dernier, accueilli favorablement aussi bien par Moscou que par Kiev. Ce n’est pas dans la lettre de Xi Jinping, mais les médias chinois évoquent des «pourparlers très attendus sur la crise ukrainienne». Le rapprochement diplomatique entre l’Iran et l’Arabie saoudite, par la médiation de la Chine, est présenté comme un précédent pouvant servir de modèle pour la Russie et l’Ukraine. La réalité est que les dirigeants ukrainiens n’ont presque aucun contact avec Pékin et que Volodymyr Zelensky attend toujours un appel de Xi Jinping. Il n’existe aucun plan de paix chinois. Il n’y a aucune information sur d’éventuelles négociations à ce jour. Pékin reste solidement aux côtés de Moscou lorsqu’il s’agit de défendre la légitimité de son action en Ukraine face à ce qui est présenté comme le «jeu trouble» des Etats-Unis.

4 La guerre des narratifs

En se rendant à Moscou, Xi Jinping démarre une nouvelle phase de son mandat. Son objectif? Mettre en scène l’alternative qui se présente au monde aujourd’hui. D’un côté il y a la Chine, un Etat «responsable» qui se réfère à l’ONU et à sa charte, à un ordre multipolaire et plus démocratique, à des organisations et aux lois internationales. C’est le camp de la stabilité et de la paix. Les intérêts sécuritaires – par exemple de la Russie en Ukraine – doivent être pris en compte au profit du plus grand nombre d’Etats. Xi Jinping parle d’une «communauté de destin partagé pour l’humanité». D’un autre côté, toujours selon Pékin, il y a les Etats-Unis et leurs alliés qui refusent d’imposer la paix à l’Ukraine, qui nourrissent au contraire le conflit en armant Kiev, et qui menacent l’approvisionnement énergétique et céréalier d’une partie de la planète. «Entre la paix et la guerre, nous choisissons la paix; entre le dialogue et les sanctions, nous choisissons le dialogue; entre baisser la température et nourrir le feu, nous choisissons de baisser la température», expliquait il y a deux semaines à Pékin le nouveau ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, lors d’une conférence de presse. L’enjeu? Convaincre une majorité d’Etats, ce global South, que l’avenir est avec la Chine et non avec les Etats-Unis. Le refus prévisible par l’Ukraine et ses alliés d’un soi-disant «plan de paix chinois» mis en scène à Moscou pourrait devenir l’une des pièces maîtresses de ce narratif sino-russe. ■

«Nos pays […] défendent la formation d’un ordre mondial multipolaire plus juste» VLADIMIR POUTINE

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2023-03-22T07:00:00.0000000Z

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