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Laure Calamy crève l’écran dans «Annie Colère». Rencontre avec une passionnée

Blandine Lenoir raconte un destin de femme et remet en lumière l’histoire du MLAC, maillon essentiel de la lutte en France pour le droit à l’avortement

STÉPHANE GOBBO @stephgobbo

Comme Alice passe de l’autre côté du miroir, il faut aller derrière le rideau de cette petite librairie de province. C’est là qu’Annie va rencontrer des militantes du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), fondé en 1973 et destiné notamment à aider les femmes qui le souhaitent à avorter, ce qui est alors illégal – la loi Veil ne sera adoptée qu’en 1975. Annie est ouvrière, mariée, mère de deux enfants. De nouveau enceinte, ce n’était pas prévu, elle sait que la famille ne pourrait financièrement porter le poids d’un enfant de plus. Avorter est la seule solution.

L’action du MLAC n’aura duré que dix-huit mois, mais elle sera décisive dans le combat des femmes. Malgré cela, son histoire a été oubliée, «invisibilisée», dit la réalisatrice Blandine Lenoir. Avec Annie Colère, elle a souhaité remettre en lumière le travail de ces militantes de l’ombre, et l’abnégation de médecins risquant leur carrière en les aidant. Même si elle se focalise sur le destin d’Annie, que Laure Calamy incarne avec une fougue à la hauteur du courage de cette mère discrète qui va décider de rejoindre le MLAC, elle raconte plus largement l’histoire d’une époque. Celle où les femmes étaient écoutées mais pas entendues. Où s’occuper de son mari, de ses enfants et de la maison tout en travaillant était normal. Où tomber enceinte hors mariage faisait de vous une «salope». Ou avorter illégalement pouvait vous tuer.

Récit documenté

Alors même qu’il se déroule en grande partie dans des pièces étriquées, le film est traversé par un souffle épique. Si elle n’hésite pas à proposer un discours parfois didactique, lorsqu’à travers un personnage on nous explique le fonctionnement de la méthode Karman – qui permet des avortements sans douleur – ou qu’apparaissent des archives médiatiques et des références historiques, Blandine Lenoir évite les écueils de l’oeuvre militante, ou lourdement édifiante, pour proposer un film choral de chambre qui prend le temps de regarder sans les juger tous ses personnages, même ceux qui ne traversent que brièvement le récit.

Avec sa coscénariste Axelle Ropert, la cinéaste a pu s’appuyer sur une thèse de 800 pages de la chercheuse Lucile Ruault, qui a passé cinq ans à retracer l’histoire du MLAC, pour rester au plus près des faits. «Ce qui nous a captivées, c’étaient tous ces récits de femmes qui racontaient combien leur militantisme au MLAC les avait transformées, comment elles se sentaient capables de tout puisqu’elles avaient pu pratiquer des avortements», explique-t-elle dans le dossier de presse du film. De ces récits est née Annie, qui incarne à elle seule le destin de ces femmes de tous les âges et de toutes les classes sociales qui se sont révélées à elles-mêmes et aux autres pour revendiquer le droit de se réapproprier leur corps. Un droit qui – de la Pologne à l’Indonésie, des Etats-Unis à l’Iran – est encore trop souvent bafoué. Annie Colère est un beau film, mais aussi un film important.

■ Annie Colère, de Blandine Lenoir (France, 2022), avec Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair, Rosemary Standley, Damien Chapelle, 1h58.

«Ces femmes se sentaient capables de tout» BLANDINE LENOIR, RÉALISATRICE

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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