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Enfant volé pour famille recomposée

Dans le nouvel opus de Hirokazu Kore-eda, une étrange équipée prend forme autour d’un nouveau-né abandonné. Un film sympathique et déroutant

NORBERT CREUTZ

De Cannes était arrivée la nouvelle que le nouveau film de Hirokazu Kore-eda, après les sommets de Tel père, tel fils et d’Une Affaire de famille (Palme d’or 2018), serait décevant. Comme ceux réalisés entre deux, Notre petite soeur, Après la tempête et Le Troisième Meurtre, pourtant mieux qu’honorables? A l’évidence, on a ici affaire à un auteur soucieux de se renouveler tout en restant fidèle à son thème de prédilection, à savoir la famille, envisagée sous toutes ses formes. Après un tour en France (La Vérité, 2019), voici que notre homme a réalisé un film en Corée du Sud, inspiré par un phénomène local: l’abandon d’enfants, source d’un marché noir de l’adoption.

L’introduction est magnifique,

Le road-movie d’un quatuor en quête d’une famille d’adoption

qui voit une jeune femme venir déposer par une nuit de pluie son nouveau-né devant une «boîte» prévue à cet effet par une église. La présence de deux agentes qui font le guet intrigue, puis le vol discret du bébé par un jeune employé qui, de mèche avec le propriétaire d’un pressing endetté, joue au «placeur d’enfants» (le broker du titre anglais) lance le scénario, encore compliqué par le retour de la mère taraudée par sa conscience. Et c’est parti pour un road-movie qui voit ce trio, bientôt rejoint par un orphelin fugueur, partir en quête d’une famille d’adoption, traqué par des policières bien décidées à les prendre sur le fait.

Le principal problème du film réside dès lors dans le nombre de personnages. Comment maintenir une crédibilité suffisante à ce voyage à travers la Corée en

suivant ces aimables hors-la-loi, mais aussi les forces de l’ordre et quelques vrais «vilains»? Car il sera encore question d’un meurtre lié à la jeune mère, qui se prostituait, et d’hommes de main chargés de récupérer l’enfant! Cela fait beaucoup et, par moments, Koreeda paraît en difficulté dans son numéro d’équilibriste entre thriller et film d’auteur, jusqu’ici caractérisé par une certaine sérénité. Ce, d’autant plus que la froideur de l’image digitale et une musique un peu appuyée – signées par deux transfuges du fameux Parasite de Bong Joon-ho – vont à l’encontre de sa délicatesse habituelle.

La famille, un refuge

Pour l’essentiel, ce quinzième opus reste toutefois très recommandable. On s’attache en effet à cette petite bande menée par Song Kang-ho (Prix d’interprétation masculine à Cannes, acteur fétiche de Bong Joon-ho qui évolue dans des zones grises de la morale. Mais le film creuse aussi les motivations de l’aînée des policières (Doona Bae, l’Air Doll de Kore-eda une décennie plus tôt), trop sûre du bien-fondé de son action. Chacun ayant ses raisons, seul un peu de compréhension et de compassion permettra de s’en sortir par le haut, ce qui nous vaut des scènes de plus en plus émouvantes.

Trop sentimental, Kore-eda? Plutôt empathique et doux-amer. Alors qu’on semblait s’acheminer vers un rapprochement romantique des aînés, un des plus beaux plans les voit se passer à côté. L’espoir est du côté de la jeunesse. Quant à la conclusion de l’intrigue, sacrément elliptique, elle peut conserver quelques zones d’ombre qu’on ne captera pas moins l’idée maîtresse: tous sont en quête d’une famille, seul refuge qui vaille contre un monde impitoyable.

Broker – Les Bonnes Etoiles, de Hirokazu Kore-eda (Corée du Sud, 2022), avec Song Kang-ho, Gang Dong-won, Lee Ji-eun, Doona Bae, Lee Joo-young, Im Seung-soo, 2h09.

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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