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Les virus mettent à l’épreuve le système hospitalier

Faute de lits suffisants, des établissements reportent des opérations pédiatriques non urgentes. Les cas de bronchiolite chez les tout-petits ne tarissent pas. L’arrivée précoce de la grippe et la permanence de cas de Covid-19 appellent à la vigilance

FANNY SCUDERI ET SYLVIE LOGEAN @FannyScuderi @sylvielogean

SANTÉ Envolée des cas de bronchiolite aiguë, arrivée précoce de la grippe, mais aussi covid, bronchite… Plusieurs hôpitaux romands annoncent reporter des opérations non urgentes. En pédiatrie, le défi ne réside pas tant dans la disponibilité des lits que dans celle du personnel qualifié et expérimenté.

Avec l’arrivée de l’hiver, les virus respiratoires circulent vigoureusement. Depuis plusieurs mois, les services pédiatriques observent avec inquiétude l’envolée des cas de bronchiolite aiguë, qui conduisent toujours à plusieurs centaines d’hospitalisations par semaine en Suisse, selon les chiffres du Groupement suisse des maladies infectieuses pédiatriques. Face à l’engorgement de certains services pédiatriques, une coordination romande a été mise en place fin novembre, afin d’organiser les transferts de jeunes patients, ce qui a depuis été réalisé à de multiples reprises. Plusieurs hôpitaux ont par ailleurs annoncé, début décembre, reporter des opérations non urgentes pédiatriques mais également chez les adultes, touchés par l’arrivée de cas sporadiques, mais précoces, de la grippe.

Du côté des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), la situation est «extrêmement tendue» au sein du service pédiatrique en raison de l’épidémie de bronchiolite qui ne faiblit pas. Au point que des opérations pédiatriques électives commencent à être reportées afin de garantir un nombre de lits suffisant, indique mardi au Temps l’institution. Une trentaine d’enfants sont actuellement hospitalisés à cause de cette affection.

Des taux d’occupation à 100%

Pour faire face à l’afflux de jeunes patients, 15 lits supplémentaires ont été ouverts en pédiatrie générale pour des hospitalisations de bébés, et quatre lits aux soins intensifs pédiatriques. Le défi ne réside pas tant dans la disponibilité des lits, précise le service de communication des HUG, mais dans celle du personnel qualifié et expérimenté. «Il faut entre deux et trois ans de spécialisation pour que les soignant·es puissent travailler en pédiatrie», ajoute-t-il.

Le service de pédiatrie du Centre hospitalier du Valais romand (CHVR) est, quant à lui, toujours occupé à pratiquement 100%. De fait, le nombre d’opérations ambulatoires pédiatriques a été réduit, quelques-unes ont également dû être reportées, commente l’hôpital. «Le programme des opérations pédiatriques électives, avec hospitalisation, est revu chaque semaine. Il n’a à ce jour pas été nécessaire d’en reporter, mais cette éventualité n’est pas à exclure», ajoute Joakim Faiss, chargé de communication au CHVR.

L’Hôpital du Jura comptait, la semaine dernière, huit enfants hospitalisés pour bronchiolite, placés en isolement et sous oxygène. «Cette semaine, ce nombre est tombé à deux, un bébé de 23 jours et un autre de 9 mois, relève Olivier Guerdat, responsable de la communication de l’établissement. Il y a une légère baisse, mais il est encore beaucoup trop tôt pour affirmer que le pic serait passé.»

En effet, tous les hôpitaux contactés pointent une épidémie de bronchiolite plus intense que d’habitude et un nombre d’hospitalisations en raison de cette affection qui reste particulièrement élevé. «Nous avons admis des enfants qui nous ont été transférés de plusieurs hôpitaux romands, observe Mikael de Rham, directeur général de l’Ensemble hospitalier de la Côte. A ce stade, nous assumons l’ensemble des prises en soins sans que nous ayons dû faire des transferts vers d’autres hôpitaux, mais si la situation devait évoluer dans le mauvais sens, il est certain que cela aurait des impacts sur notre capacité à continuer à couvrir l’ensemble des besoins.»

A la date du 6 décembre, une vingtaine d’enfants étaient hospitalisés au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne, en raison d’une infection au virus respiratoire syncytial (VRS) – l’un des virus responsables de la bronchiolite –, dont la moitié sont admis dans les services de soins intensifs. «Nous constatons davantage de cas d’enfants sévèrement atteints et le début de l’épidémie est arrivé plus tôt», indique le service communication. Le CHUV s’est vu obligé de repousser certaines opérations électives non urgentes depuis deux semaines, pour certains patients atteints de scoliose par exemple.

Transferts entre établissements

L’Hôpital Riviera-Chablais (HRC) observe aussi un taux d’occupation élevé des lits au sein de son service de pédiatrie. Les patients infectés par le VRS occupent entre 75 et 80% des lits. «Début novembre, les patients étaient âgés autour des 2 ans. Actuellement, ils ont seulement quelques mois et sont souvent susceptibles de nécessiter un soutien respiratoire», explique Kabangu Kayemba-Kay’s, médecin-chef du service de pédiatrie. Si le service fonctionne pour le moment normalement, le flux tendu oblige l’hôpital intercantonal, à la fois vaudois et valaisan, à communiquer quotidiennement avec les autres hôpitaux romands afin de suivre de près l’évolution des places disponibles et d’effectuer des transferts en cas de pic trop important dans l’une ou l’autre institution hospitalière.

A noter que les bronchiolites ne sont pas les seules causes du boom des admissions en pédiatrie. Le Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNE) observe des bronchites spastiques et des crises d’asthme sévères chez des enfants de 2 à 6 ans. «Plusieurs virus sont mis en évidence: le RSV et le rhino-entérovirus essentiellement, parfois le Covid-19 ou les virus du type parainfluenza», indique le service communication. Si le taux actuel d’hospitalisations devait augmenter, cela représenterait une situation très difficile voire critique.» Ainsi, l’hôpital a dû renforcer son équipe médico-soignante en pédiatrie pour accueillir de nouveaux patients. «Si la situation devait s’aggraver dans les prochaines semaines, il serait compliqué de trouver des forces supplémentaires», réagit l’institution neuchâteloise.

Soignants sous pression

En outre, les soignants sont encore mis sous pression par l’arrivée de patients atteints du Covid-19. «Sur ce front-là, la situation est plutôt stable, indique pour sa part l’Hôpital Riviera-Chablais, mais si la situation venait à se complexifier avec des structures en sur-occupation, l’institution serait amenée à compléter ses effectifs, certainement en ayant recours à du personnel intérimaire», indique José Iglesias, directeur des soins. «Les urgences et la médecine interne sont confrontées à une charge de travail exacerbée par des virus respiratoires tels que le SARSCoV-2, le RSV, et le rhinovirus qui peuvent générer des bronchites voire des pneumonies, analyse de son côté le service de communication du Réseau hospitalier neuchâtelois. Les soignants sont également inquiets face au risque d’une épidémie de grippe potentiellement forte cette année, alors même que les urgences sont déjà sous tension.»

L’hôpital de Fribourg s’inquiète aussi du manque de soignants. «Nous poursuivons activement notre recrutement. La pénurie de personnel implique que nous ne sommes désormais plus en mesure d’augmenter le nombre de lits. C’est une inquiétude pour nous et nous avons dû reporter des opérations non urgentes», indique Katelijne Dick, du service communication.

Mikael de Rham s’attend à une péjoration de la situation sanitaire, dans un contexte où le nombre d’hospitalisations est resté stable ces deux dernières semaines avec une vingtaine de patients hospitalisés en raison d’un Covid-19. «A ceux-ci s’ajoutent les personnes souffrant de la grippe, analyse le directeur général de l’Ensemble hospitalier de la Côte. Leur nombre reste faible à ce stade, mais nous sommes au début de la phase endémique.» Les hôpitaux interrogés ne craignent néanmoins pas une reprise importante des hospitalisations aux soins intensifs pour des cas graves de Covid19, bien qu’il reste toujours difficile d’appréhender l’évolution de la situation sanitaire. Les patients actuellement hospitalisés sont issus d’une population âgée, immunodéprimée et souvent atteinte de polymorbidité. «La grande majorité, environ 75%, sont vaccinés deux, trois ou quatre fois. Cette protection, ajoutée à l’immunité naturelle, relativise le risque de reprise massive des cas graves», commentent les HUG, qui se sont organisés en régime endémique «afin de passer d’une approche de crise à un système résilient».

Les hôpitaux ont appris des vagues successives de Covid-19, autant d’une manière organisationnelle que dans les soins. «Une reprise des hospitalisations pour des cas graves paraît peu probable en raison des stratégies de prise en charge thérapeutiques mieux définies et qui ont fait leurs preuves», confirme l’Hôpital Riviera-Chablais.

«A ce stade, nous assumons l’ensemble des prises en soins sans que nous ayons dû faire des transferts vers d’autres hôpitaux»

MIKAEL DE RHAM, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ENSEMBLE HOSPITALIER DE LA CÔTE

«Si la situation devait s’aggraver dans les prochaines semaines, il serait compliqué de trouver des forces supplémentaires»

RÉSEAU HOSPITALIER NEUCHÂTELOIS

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