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L’italien est négligé en Suisse alémanique

Plus d’un quart des lycées outre-Sarine n’offrent pas la langue de Dante comme discipline fondamentale, contrevenant à l’ordonnance fédérale pour la reconnaissance de la maturité. En revanche, les Romands s’y conforment parfaitement

ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LOCARNO

La Suisse italienne estime qu'on se moque d'elle. Plus d'un quart des lycées en Suisse alémanique ne proposent pas l'italien comme «discipline fondamentale» à leurs élèves, contrevenant à l'ordonnance fédérale pour la reconnaissance de la maturité (ORM). C'est ce qui ressort d'une enquête commandée par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP), sur demande du Forum pour l'italien en Suisse.

Coordinateur de ce forum, Diego Erba rappelle que ce texte exige que chaque lycée suisse offre comme disciplines fondamentales la langue première, une seconde langue nationale et une troisième langue, qui est soit une autre langue nationale, l'anglais ou une langue ancienne, telle que le latin ou le grec. Tandis qu'en Suisse romande, les 35 établissements ayant participé à l'enquête proposaient l'italien comme discipline fondamentale durant l'année 2021-22, 24 des 91 lycées alémaniques, soit 26,4% d'entre eux, faisaient l'impasse sur la langue de Dante comme discipline fondamentale.

Silence fédéral

«Pour quelle raison aucune autorité – cantonale ou fédérale – n'intervient alors que l'ordonnance est bafouée?», questionne Diego Erba. Le Tessinois signale une autre bizarrerie: «A la suite de l'enquête, la CDIP émet un tas de considérations et de recommandations; on s'attendrait à ce qu'elle incite les cantons qui ne le font pas à respecter l'ordonnance, mais non, rien du tout.»

A la CDIP, Stefan Kunfermann, chef de la communication, rappelle que les cantons sont responsables de leurs écoles et, par conséquent, de la mise en oeuvre du règlement de reconnaissance en vigueur. «En raison de leur compétence, les cantons peuvent imposer à leurs écoles des directives correspondant à l'ordonnance.»

Il indique que dans le cadre du projet Evolution de la maturité gymnasiale, la Commission suisse de maturité (CSM) devrait disposer de nouvelles possibilités pour garantir le respect des exigences minimales. «Celle-ci pourrait vérifier régulièrement que les écoles qui délivrent des certificats de maturité reconnus au niveau suisse respectent les exigences.»

Intervention à Berne

Responsable de la communication pour le Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (Sefri), Tiziana Fantini signale que le Sefri «soutient l'avis de la CCIP selon lequel l'évolution de l'encouragement de l'italien dans les gymnases suisses doit être considérée comme fondamentalement positive. Et ce, même s'il existe encore un besoin de rattrapage au niveau régional.» Elle souligne, elle aussi, qu'avec le projet Evolution de la maturité gymnasiale, la Commission de maturité sera mieux outillée pour s'assurer du respect de l'ordonnance fédérale.

Il n'empêche que lors de cette session parlementaire, le conseiller national Marco Romano (Le Centre), coprésident du groupe parlementaire Italianità, entend déposer une interpellation auprès du Conseil fédéral. «Chaque fois qu'on y regarde de près, la situation de l'italien est toujours plus préoccupante. A Berne, on fait de grands discours sur le multilinguisme et comment l'on veut préserver cette valeur ajoutée pour le pays, mais dans les faits, rien n'est entrepris pour pallier ces trous béants.»

Le Conseil fédéral fait mine qu'il ne s'agit pas de sa compétence; les cantons font de même et la CDIP aussi, demandant à qui revient le rôle de rappeler à l'ordre les cantons qui ne se conforment pas à l'ordonnance. «Je suis un grand défenseur du fédéralisme, mais si une autorité inférieure n'assume pas son rôle, l'autorité supérieure doit intervenir et faire respecter la loi», poursuit l'élu centriste.

La situation empire et c'est dangereux, estime-t-il: ce n'est pas que l'italien qui est menacé, mais le multilinguisme en général: le français en Suisse alémanique et l'allemand en Romandie. «Les politiques cantonales marginalisent et sous-estiment la valeur des langues et à long terme, nous courons le risque de perdre un élément central de l'identité suisse.»

«Les politiques cantonales sousestiment la valeur des langues. A terme, il y a le risque de perdre un élément central de l’identité suisse» MARCO ROMANO, COPRÉSIDENT DU GROUPE PARLEMENTAIRE ITALIANITÀ

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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