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«On ne préempte pas pour acheter des villas»

Le conseiller d’Etat genevois Antonio Hodgers justifie sa politique foncière à l’aune d’un cas particulier à Chêne-Bourg. Au passage, il déplore que les notaires n’informent pas toujours correctement les acheteurs des risques

PROPOS RECUEILLIS PAR MARC GUÉNIAT

La semaine dernière, Le Temps relatait que l'Etat de Genève allait exercer son droit de préemption à Chêne-Bourg, intervenant dans la vente d'une villa entre des privés. Le vendeur veut tout faire pour que la transaction se réalise et se dit scandalisé que le canton propose un prix inférieur à son coût d'acquisition et de construction, se soldant par une perte de 232 000 francs. Otages de ce combat, les acquéreurs voient leur acompte bloqué chez le notaire.

Antonio Hodgers, conseiller d'Etat chargé du Territoire, explique pourquoi l'Etat intervient dans les zones de développement et à quelles conditions. Il se désole pour le couple d'acheteurs, étrangers et nouvellement arrivés à Genève, qui auraient dû être mieux informés des risques associés à de telles transactions.

Il y a beaucoup de fantasmes autour de la politique foncière, alors que les chiffres montrent que l’Etat fait un usage parcimonieux de son droit de préemption. Pourquoi est-ce un sujet si clivant? Lorsque l'Etat exerce ce droit, il contredit les intérêts particuliers d'individus. Il se glisse dans une transaction pour se substituer à l'acquéreur. Cela suscite une vive opposition, très idéologique, de certains milieux qui défendent d'abord des intérêts privés. Il n'y a pas d'autre explication à la mobilisation à laquelle on a assisté la semaine dernière en ville de Genève, lorsque ces partis sont parvenus à empêcher la préemption d'un bien qu'un grand propriétaire du canton voulait acquérir.

Qu’est-ce qui justifie l’usage de cette prérogative? Notre canton est petit, dense et il existe un consensus pour construire la ville en ville. On ne préempte pas pour que l'Etat devienne propriétaire de villas, mais bien pour un développement urbain harmonieux. Cela dit, parmi les milliers de transactions que l'on observe, le nombre de préemptions se compte sur les doigts d'une main, au nom d'un intérêt public prépondérant. Il faut cependant que les communes clarifient très explicitement ce dernier.

Et l’Etat? C'est très clair: en zone de développement, on protège les prix du terrain pour permettre – ce projet est pourtant cher à la droite – à la classe moyenne d'acquérir des appartements qu'elle ne pourrait pas s'offrir au prix du marché, car ils sont 30% plus chers. Quand on développe un quartier mixte, les loyers des logements d'utilité publique étant fixes, toute hausse du prix du terrain se reporte automatiquement sur les acheteurs de propriété par étage (PPE). J'assume pleinement cette action de l'Etat.

Tous les propriétaires d’un bien dans une telle zone doivent-ils redouter le sort du propriétaire d’une villa à Chêne-Bourg que nous relations la semaine dernière? S'ils vendent à des prix totalement surfaits, au mépris des barèmes, oui. Cela dit, j'ai donné pour instruction à mes services de faire preuve de souplesse. On bloque l'opération, puis on négocie en tenant compte de la bonne foi du vendeur. Comme votre article l'a relevé, on rend aussi service aux acheteurs: ils auraient pu subir une catastrophe financière, car ce n'est pas leur banque qui y aurait perdu, et humaine, puisqu'ils prévoyaient de s'établir dans le quartier avec leurs enfants. Il faut absolument éviter ces situations.

Le prix et l’intention de l’acquéreur sont donc déterminants. Sur quel calcul se base-t-on? Les barèmes sont publics. Jamais un promoteur n'aurait mis 2,2 millions de francs dans une opération aussi grossière. A mon avis, ce n'est pas un hasard si le couple est étranger, nouvellement arrivé, ne connaissant pas nos lois. Ils ont probablement été mal conseillés par la banque, le courtier et le notaire. Le vendeur a réalisé d'importants travaux en sachant qu'un refus conservatoire avait été émis. Même si ce dernier est tombé parce que la commune n'a pas réalisé de plan localisé de quartier (PLQ), le message était clair. Cela étant, nous restons ouverts pour négocier une porte de sortie honorable.

«Quand le prix de vente est totalement surfait, l’Etat doit intervenir dans la transaction»

Vous parlez de bonne foi, mais le quartier est en zone de développement depuis 1958. Le vendeur pouvait légitimement penser qu’il avait encore quelques décennies devant lui, non? Il est vrai que la commune rechigne à construire pour des raisons politiques, mais cette zone va bientôt se développer: de l'autre côté de la rue, le PLQ est prêt. La parcelle est à deux minutes à pied de la gare du Léman Express.

L’Etat va-t-il restituer aux acheteurs les 64 000 francs d’émoluments perçus? Tout est figé lorsque la justice s'en mêle. Je suis heurté par le message que l'on envoie aux étrangers qui s'installent à Genève. Le notaire en particulier a une responsabilité accrue envers l'acheteur quant aux caractéristiques du bien. Il doit l'informer sur les risques d'une telle opération. J'ignore si cela a été fait dans cette transaction. Mais cela m'évoque un cas analogue au Grand-Saconnex où nous avions dû intervenir pour trouver une solution. On y arrive, mais ce serait plus facile si les acteurs de la chaîne immobilière faisaient correctement leur travail.

Comment explique-t-on qu’une banque, ici UBS, ait financé une telle opération? Je l'ignore. Parfois, ces grandes banques disposent d'une antenne romande ou nationale qui valide les crédits. On peut imaginer que la zone de développement, une spécificité genevoise, soit mal connue.

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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