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La pénurie de médicaments touche 650 produits

Le secteur pharmaceutique suisse n’est pas épargné par les difficultés d’approvisionnement. Les ruptures de stock deviennent monnaie courante et les hôpitaux craignent le pire

RAPHAËL JOTTERAND @Raph_jott

C’est un document long de plusieurs pages que l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE) a mis à jour le 2 décembre dernier, listant les principaux médicaments ou vaccins en pénurie. Mais selon le vice-président de PharmaSuisse, Enea Martinelli, la situation est pire encore.

Fondateur de la plateforme Drugshortage.ch, ce Biennois alerte depuis plusieurs années sur l’état du stock qu’il juge «dangereux pour la sécurité des patients» via son blog ou sur les réseaux sociaux. Selon lui, près de 650 médicaments (au total plus de 800 emballages différents) ne sont pas disponibles en Suisse et la tendance est à la hausse. Ses confrères, interrogés par Le Temps, confirment cette estimation.

Pénurie de sirops contre la toux

Parmi eux, le Dr Pierre Voirol, chef adjoint de la pharmacie du CHUV, observe ce phénomène depuis longtemps. «Ces ruptures de stock ont commencé il y a une quinzaine d’années, mais la situation n’a jamais été aussi tendue qu’aujourd’hui. Tout s’est accéléré avec la pandémie et cela n’arrête pas, témoigne-t-il. Encore ce matin [lundi, ndlr], un collègue m’a dit qu’il manquait de l’Ibuprofène sirop pour la pédiatrie et c’est pareil dans toute la Suisse.»

Les institutions traditionnelles dressent le même constat et manquent aussi de sirop pour la toux. «Nous avons été confrontés à une vague importante de bronchiolite et la plupart des médicaments pour lutter contre les maux de gorge sont en pénurie, indique une pharmacienne travaillant pour une grande enseigne. Ce qui devient frustrant, c’est de devoir expliquer à un client sur deux que nous n’avons plus leurs produits habituels mais que nous pouvons leur proposer une alternative. Les gens ne comprennent pas et sont parfois réticents à l’idée de changer de médicaments.»

Si la plupart des produits touchés par cette pénurie sont des médicaments courants et bon marché, ayant des alternatives, d’autres substances venant à manquer peuvent être plus compliquées à remplacer. «Les pénuries sont particulièrement problématiques pour les patients chroniques car le changement de médication accroît le risque de crise et compromet l’adhésion thérapeutique, avertit Nicole Demierre Rossier, porte-parole de PharmaSuisse qui note d’autres complications. Dans les pharmacies hospitalières et dans les officines, les ruptures d’approvisionnement posent d’énormes problèmes de logistique, de sécurité et mobilisent des ressources en personnel dont les coûts ne peuvent être répercutés à charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS).»

Au CHUV, Pierre Voirol en sait quelque chose. «L’impact chez nous est extrêmement marqué. Cette situation nous oblige à avoir l’équivalent d’une personne à temps plein pour gérer les manques.» Le chef adjoint de la pharmacie craint aussi que les erreurs se multiplient. «Parfois nous parvenons à trouver des alternatives thérapeutiques ou nous mobilisons l’unité de la pharmacie qui fabrique des médicaments. Le problème, c’est quand il n’existe pas de solution de substitution identique. Dans ce cas, nous devons utiliser par exemple des dosages différents et il y a des risques d’erreurs, de la prescription par le médecin à l’administration du médicament par l’équipe soignante. Les conséquences peuvent être dramatiques.»

Récemment, plusieurs hôpitaux ont manqué d’un produit utilisé en cas d’accident cérébral vasculaire (AVC) permettant de dissoudre le caillot de sang. En oncologie, les réserves de certains médicaments peuvent être assez basses, mais le CHUV estime «passer entre les gouttes» pour le moment.

Quelles sont les raisons?

«Quand il n’existe pas de solution de substitution identique, nous devons utiliser des dosages différents et il y a des risques d’erreurs» PIERRE VOIROL, PHARMACIE DU CHUV

Cette situation qui sévit en Suisse mais aussi dans toute l’Europe est due à plusieurs raisons. Pour PharmaSuisse, le fait qu’une grande partie des biens médicaux soient produits en Asie pour des raisons de coûts est l’une des causes majeures. «Il y a des problèmes de livraison parce que certains principes actifs [molécule principale du médicament], qui sont en grande partie produits en Chine, ne peuvent pas être livrés car les entreprises pharmaceutiques sont toujours soumises à des confinements. A cela s’ajoutent des ruptures plus générales au niveau de la chaîne d’approvisionnement dues à la pandémie de covid-19, la guerre en Ukraine ou encore la crise énergétique», explique Nicole Demierre Rossier qui ajoute que le matériel d’emballage fait également défaut.

Les cantons romands suivent la situation de près et tous arrivent à la conclusion d’être logés à la même enseigne. Pour faire face à cette situation, certains dispositifs ont été mis en place, à l’image du Valais. «Nous disposons d’un stock de médicaments essentiels pour les cas de catastrophe, précise Leslie Bergamin, coprésidente de Pharmavalais et future pharmacienne cantonale dès le 1 février 2023. Il s’agit d’un stock fixe qui est implémenté au sein de la pharmacie de l’Institut central des hôpitaux (ICH), ce qui a l’avantage que le stock tourne constamment et qu’il n’y a pas de problème avec les dates d’expiration.»

Selon les différents experts contactés, la situation ne devrait pas s’améliorer prochainement. Une initiative populaire «Oui à la sécurité de l’approvisionnement médical» est en cours d’examen à la Chancellerie fédérale pour éviter que ces pénuries ne deviennent la norme. La collecte de signatures devrait débuter au premier trimestre de l’année 2023.

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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