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Une grève menée par des «émeutiers» et des «sionistes»

Alors que l’Iran a vécu son deuxième jour de débrayage général, la presse locale insiste sur l’échec de sa mise en oeuvre et se fait l’écho d’idées originales pour mettre fin à la révolte, comme bloquer le compte en banque des femmes tête nue

LINE GOLESTANI @golestanilin

«Non à la grève forcée» titre en première page le média d'Etat Hamshahri («Concitoyen»), au second jour de la mobilisation générale qui secoue l'Iran. «Les anti-révolutionnaires [s'opposant à la révolution iranienne de 1979, ndlr] ont de nouveau été humiliés, leur menace de grève a été vaine», affirme ce quotidien, le plus important du pays avec ses 400 000 exemplaires, photo d'un bazar ouvert et animé en une. «Alors que des personnalités et des médias anti-révolutionnaires ont mobilisé toutes leurs ressources ces derniers jours pour appeler à des rassemblements et à des grèves à l'échelle nationale, entre le 14 et le 16 Azar [mois du calendrier perse], des enquêtes de terrain dans différentes villes, en particulier à Téhéran, indiquent que l'appel aux émeutes a rencontré un échec retentissant dès le premier jour.»

De la colle dans les serrures

Selon le quotidien, les «perturbateurs» tenteraient de dissimuler le «lourd échec» de leur stratégie. «On observe par ailleurs que dans tout le pays, les citoyens n'ont pas accueilli favorablement ces appels mais se sont également plaints des activités destructrices menées par les émeutiers. Ils ont en outre demandé aux autorités compétentes de prendre des mesures décisives pour faire face aux émeutiers.» L'article en question dénonce par ailleurs les méthodes utilisées par les grévistes. Ces derniers insèreraient de la colle dans les serrures d'échoppes et dissémineraient des clous sur les routes pour forcer leurs concitoyens à rejoindre le mouvement. Les actes de sabotage seraient légion, et l'huile aspergée sur les routes aurait notamment provoqué des accidents de voitures de police. L'immense majorité des grévistes suit pourtant le mouvement de son plein gré, malgré les risques encourus.

Le quotidien conservateur Kayhan («L'Univers»), directement rattaché au guide suprême, titre dans sa version en langue persane: «Identifier et punir ceux qui menacent les personnes, les entreprises et les camionneurs», avec, pour illustration, des bazars bondés. La version anglaise du même article intitulée «Pas de pitié pour les voyous et les terroristes», ne fait pas directement référence à la grève, mais note que le Sepah-i-pasdaran, soit le corps des Gardiens de la révolution, «a salué la fermeté du pouvoir judiciaire face à un certain nombre d'émeutiers liés à l'espionnage sioniste, en précisant qu'aucune mansuétude ne sera montrée à l'égard des voyous et terroristes au service des ennemis du pays».

L'article précise ensuite que cette déclaration du Sepah a été faite dans un communiqué dans lequel il remerciait les autorités judiciaires d'avoir mis à mort quatre membres d'un «gang d'émeutiers liés à l'espionnage sioniste». Le quotidien rappelle plus loin que ces émeutes surviennent après la mort de Mahsa Amini et malgré, affirme-il, le fait que les autorités ont prouvé l'existence d'antécédents médicaux expliquant ce décès subit.

Ailleurs dans le même quotidien, on peut lire que «l'Occident conditionne la fin de son soutien aux émeutes à des concessions [du régime iranien]». L'article se réfère à l'interview d'un officier iranien sur la chaîne d'information Al-Alam. La condition émise par les Européens serait que l'Iran «commence à injecter inconditionnellement et abondamment du pétrole brut et du gaz naturel dans les marchés mondiaux de l'énergie, instables à la suite de la campagne militaire russe en Ukraine voisine et les mesures coercitives contre Moscou».

L'agence de presse semi-officielle Mehr News évoque également les conditions que l'Occident aurait énoncées pour mettre un terme à son soutien aux émeutiers. Outre les points concernant le gaz et le pétrole, trois autres conditions seraient que l'Iran trouve un terrain d'entente avec l'Arabie saoudite, accepte les conditions des Européens pour l'accord sur le nucléaire iranien et cesse de coopérer avec la Russie. «Selon le guide suprême et des officiers de haut rang dont le président Raïssi, les émeutes sont initiées par des pays occidentaux fâchés des progrès effectués par l'Iran en dépit de sanctions sans précédent.»

Des SMS d’avertissement

Plus que le prétendu rôle de l'Occident dans les «émeutes» évoqué inlassablement par la presse iranienne, c'est la déclaration du député Hossein Jalali relayée par les médias d'Etat qui scandalisait nombre d'Iraniens ce mardi. «Le compte bancaire des femmes sans hijab sera bloqué [et] dans deux semaines le foulard reviendra sur leur tête», a déclaré cet homme, membre de la Commission culturelle du Conseil islamique. Le quotidien en ligne Entekhab («Choix»), lié aux réformateurs, précise la proposition du mollah. Ce dernier propose de mettre en garde par SMS les femmes ayant ôté leur hijab, en les invitant à le remettre. Après trois mises en garde, le compte en banque des récalcitrantes serait bloqué.

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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