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Les mollahs offensifs

IRAN Au second jour de la mobilisation générale qui secoue le pays, cinq personnes ont été condamnées à mort

CAMILLE PAGELLA @CamillePagella

■ Des condamnations saluées par les médias d’Etat, qui relaient l’appel d’un député à bloquer le compte en banque des femmes tête nue. Les manifestants, pour leur part, se sentent trahis par les médias occidentaux

Deux jours après les annonces du procureur général iranien Mohammad Jafar Montazeri sur une possible «abolition» de la police des moeurs, le ressentiment des Iraniens contre les médias occidentaux grandit. «Beaucoup sont déçus et essaient de comprendre pourquoi une telle fake news a été reprise dans le monde entier, décrypte Mahnaz Shirali, sociologue et politologue iranienne, enseignante à Science Po Paris. Car le procureur l'a dit lui-même face aux journalistes: la police des moeurs n'est pas placée sous la juridiction du pouvoir judiciaire.» En Iran, gasht-e ershad, comprenez la police des moeurs aussi appelée patrouille d'orientation, dépend en effet de l'exécutif et du Ministère de l'intérieur. Législatif, exécutif et judiciaire ont beau être, en Iran, des pouvoirs indépendants, ils sont tous trois placés sous la coupe d'un seul homme: Ali Khamenei, le guide suprême.

Une structure «de façade»

«Nous possédons bien une structure de façade, sous la forme de la présidence ou de l'assemblée nationale, pour laquelle les Iraniens votent au suffrage universel tous les quatre ans. Mais la véritable structure profonde de la République islamique est sélective», poursuit Mahnaz Shiral. Une structure «divine» avec, à son sommet, un guide suprême désigné par une assemblée d'«experts» pour une durée indéterminée, mais potentiellement à vie. «Il contrôle absolument tout, a le droit de donner des ordres à tout le monde et peut à n'importe quel moment décider de déchoir le président de la République ou l'assemblée car en Iran, le religieux est situé au-dessus de la politique.» C'est le Velayat-e faqih, un concept strictement iranien selon lequel un membre du clergé exerce une tutelle sur l'ensemble de la société. Outre qu'il détient les trois pouvoirs, le guide suprême est aussi le chef de l'armée. En bref, c'est l'homme le plus puissant du pays. «Nous sommes donc en réalité face à un système dictatorial qui n'a jamais su gouverner autrement que par la force et en étouffant la population, c'est son essence même. Après quarante ans, les Iraniens n'en peuvent plus. Ils sont arrivés à la conclusion qu'une réforme de l'intérieur était impossible et qu'il fallait un changement de régime.»

Depuis la révolution de 1979, il est imposé aux Iraniennes de porter le voile en public. Une loi consacre l'obligation en 1983 et l'étend aux femmes étrangères peu importe leur confession. Pour surveiller leurs tenues, des officiers patrouillent dans les rues. La police des moeurs est créée en 2006 par le Conseil suprême de la révolution culturelle sous la présidence du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad. «Mais en réalité, elle a été instaurée en remplacement d'autres polices religieuses qui existaient depuis la révolution et qui nous tapaient dessus si on ne se couvrait pas correctement. Elle a juste changé de nom et de couleur d'uniforme mais sa nature est toujours demeurée cruelle et violente, explique la politologue iranienne. L'identité du clergé chiite est intimement liée aux apparences, surtout à celles des femmes. C'est ainsi qu'ils arrivent à maîtriser la société; c'est la nature du pouvoir qu'ils ont mis en place.»

Pour nombre d'Iraniens et d'observateurs, l'annonce du procureur général relevait aussi d'un stratagème pour calmer les foules, quelques jours avant une mobilisation importante prévue en début de semaine. Une stratégie qui paraît en décalage face à l'ampleur de la contestation déclenchée voilà plus de trois mois. En début de semaine, une partie des Iraniens ont observé trois jours de grève nationale; elle devrait se terminer ce mercredi avec une large journée de mobilisation estudiantine, très attendue.

Exécutions en masse

La répression, elle, ne faiblit pas non plus. Mardi, la justice iranienne a condamné à mort cinq personnes pour avoir tué un paramilitaire, verdict dénoncé par des défenseurs des droits humains comme un moyen de «répandre la peur». Les ONG restent particulièrement inquiètent du sort réservé aux manifestants arrêtés: l'Iran a exécuté plus de 500 personnes en 2022, ce qui dépasse largement le nombre de mises à mort en 2021, selon l'organisation Iran Human Rights, basée à Oslo. L'Iran assassine désormais davantage de condamnés que n'importe quel autre pays, excepté la Chine.

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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