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Réindustrialiser l’Europe, c’est déjà compromis

Alors que l’Inflation Reduction Act, une loi américaine jugée discriminatoire par rapport aux concurrents étrangers, entrera en vigueur en 2023, Berlin s’oppose à une aide concertée aux groupes européens

ALINE BASSIN @bassinaline

En janvier dernier, l’affaire était entendue, la leçon retenue. Après avoir manqué de masques, de puces électroniques ou de matières premières durant la pandémie, le Vieux-Continent allait se réindustrialiser. Promettant d’éviter de coûteux et polluants kilomètres de fret, ces bonnes résolutions se fondaient de plus à merveille avec la volonté de réduire l’empreinte carbone européenne.

L’année 2022 s’est malheureusement chargée de doucher ces louables intentions. Contraignant de nombreuses entreprises européennes à revoir leur stratégie géographique d’investissement, l’explosion des coûts de l’énergie a déjà réfréné les ardeurs. Mais le coup d’assommoir est venu du bon vieil allié américain, plus précisément de son Inflation Reduction Act (IRA), adopté dans la torpeur du mois d’août.

Il a fallu des semaines pour que l’Union européenne comprenne à quelle sauce son industrie allait être mangée. Car sous un nom un brin trompeur, l’IRA ne cible pas seulement les ménages étranglés par l’inflation. Il vise aussi l’expansion des énergies renouvelables par une batterie de subventions, d’incitations et de clauses de préférence nationale pour les entreprises.

Malgré les sourires de façade, la visite à Washington du président Emmanuel Macron, la semaine dernière, n’a en rien fait fléchir la position américaine, et l’UE travaille depuis à la contre-attaque. Assouplir les règles en vigueur pour l’octroi d’aides étatiques, lancer un énième plan de soutien économique? Les idées ne manquent pas. Mais les Vingt-Sept s’époumonent, tergiversent et se déchirent, l’Allemagne se refusant notamment à de nouvelles dépenses communautaires et prêchant pour des plans étatiques. Ce qui l’arrange bien.

Si Bruxelles ne veut pas voir ses rêves de réindustrialisation et d’indépendance énergétique sombrer, elle a intérêt à appuyer sur l’accélérateur pour trouver une parade. Après s’être fait déposséder de son savoir-faire photovoltaïque par l’Asie, supplanter par les EtatsUnis dans la course numérique, l’Europe n’a tout simplement plus le droit à l’erreur. D’autant plus qu’elle dispose d’acteurs technologiques sérieux dans la lutte contre le changement climatique. Mais le risque est grand de les voir s’évaporer, alléchés par les dollars américains. Le 28 novembre, le suédois Northvolt annonçait déjà la couleur: ce fabricant de batteries électriques très en vue songe à retarder un projet en Allemagne. Au profit d’un investissement de l’autre côté de l’Atlantique.

L’Europe n’a tout simplement plus le droit à l’erreur

Un nouveau drame se joue au sein de l’Union européenne. Les Vingt-Sept sont désunis sur la stratégie à adopter face à l’Inflation Reduction Act (IRA) qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023 aux Etats-Unis. Clairement protectionniste, cette loi favorise les entreprises basées sur leur sol aux dépens de la concurrence étrangère, notamment dans le domaine des véhicules électriques et des batteries. Les constructeurs européens, mais aussi japonais et sud-coréens sont sur le qui-vive.

Le drame s’est accentué depuis la semaine dernière. Le président français, Emmanuel Macron, s’était rendu à Washington pour tenter de convaincre son homologue américain Joe Biden d’exempter l’UE de l’application de l’IRA. Peine perdue. Dimanche, c’est Ursula von der Leyen qui est montée aux barricades et a appelé à simplifier les règles sur les aides d’Etat dans l’UE, mais aussi à renforcer les financements au niveau européen, par le biais d’un fonds souverain, par exemple. Pour la présidente de la Commission européenne, les Vingt-Sept ne peuvent rester les bras croisés face aux investissements massifs publics aux Etats-Unis.

Alors que plusieurs Etats membres de l’UE se disent favorables à une réponse européenne, l’Allemagne refuse toutes nouvelles dépenses communes. Berlin s’oppose en effet à tout endettement collectif pour financer un éventuel fonds souverain. «Ce serait une menace pour notre compétitivité et notre stabilité, a réagi lundi le ministre allemand des Finances, Christian Lindner. Il faut accroître la compétitivité de l’UE avec les instruments existants.»

Berlin ne lésine pas sur les moyens

Dans les années 2013-2014, les Allemands avaient, de la même façon, mis les pieds au mur face à l’idée de faire front commun face à la crise de la dette grecque alors même que celle-ci menaçait de faire exploser la zone euro. Pourtant lorsqu’il s’agit de verser de larges subventions à l’économie allemande, Berlin ne lésine pas sur les moyens. Selon une note publiée lundi par le Global Trade Alert, une sorte d’observatoire du commerce mondial, de l’Université de SaintGall, tous les Etats européens ont consacré des milliards pour soutenir leur économie face à l’explosion des prix de l’énergie.

«Mais c’est l’Allemagne qui a les poches les plus profondes», souligne le professeur Simon Evenett. Pas moins de 71% de ses importations de pétrole ou de gaz ont été subventionnées pour aider des entreprises qui recevaient déjà des subventions sous d’autres formes. L’Italie et l’Espagne viennent ensuite avec des soutiens à hauteur de 25% de leurs factures énergétiques.

Comme à l’époque, les Pays-Bas étaient également opposés à la mutualisation de la dette européenne. «Entre le plan de relance post-covid et le plan RePowerEU (investissements dans l’énergie), nous avons déjà des moyens substantiels sur la table pour soutenir les entreprises», a déclaré lundi la ministre néerlandaise des Finances, Sigrid Kaag.

Paris veut des exemptions

Pour l’Espagne, il serait tout naturel que Bruxelles mette un mécanisme en place pour aider les entreprises européennes comme le font les Etats-Unis et la Chine à travers des aides publiques massives. Quant à la France, tout en souhaitant obtenir des exemptions de la part de Washington, elle souhaite mettre en place une IRA européenne pour soutenir le secteur énergétique sur le sol européen.

Le Japon et la Corée du Sud, deux pays qui produisent aussi bien des véhicules électriques que des batteries et qui sont directement visés par l’IRA, se disent tout aussi inquiets que les Européens. Mais alors que Tokyo garde un certain calme – Toyota, Nissan Mazda disposent déjà d’usines aux Etats-Unis –, Séoul, plus remonté, menace de porter plainte devant l’Organisation mondiale du commerce. ■

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2022-12-07T08:00:00.0000000Z

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