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Adel Kachermi, ou comment survivre à l’aventure d’un «boys band»

ADEL KACHERMI L’ancien membre des 2Be3, «boys band» français qui a brillé à la fin des années 1990, dirige une société de location de jets privés à Genève. Il raconte la gloire, l’errance et la reconstruction dans l’anonymat

FLORIAN DELAFOI @FlorianDel

C’était l’ère de la télévision toute-puissante, l’âge d’or des émissions de variétés qui font germer des graines de star. Adel Kachermi a connu cette «hit machine» glorieuse: il était l’un des membres des 2Be3, le premier boys band français à la popularité éclatante, porté par un tube qui entête: Partir un jour. C’était la fin des années 1990, à l’aube d’un nouveau millénaire gorgé de promesses. Une époque révolue.

«On remplissait des salles de concert grandioses comme Bercy et, à la fin de notre aventure, on participait à des galas dans des foires à la saucisse. On devenait un peu ridicules», sourit-il. Plus de vingt ans ont passé. On retrouve Adel Kachermi à la terrasse d’un bistrot genevois. Allure svelte et cheveux grisonnants, il sirote un café à quelques pas du bureau de sa société de courtage, dans l’anonymat le plus total. Seules ses initiales ont subsisté dans le nom de son entreprise: AKcess Private Office.

Porte anonyme

L’ancienne vedette ne réalise plus d’acrobaties sous les spots, ne fend plus de foule fascinée et ne s’inquiète plus des flashs de paparazzis. Son quotidien professionnel se joue derrière la porte quelconque d’un immeuble de la rue du Rhône, où s’alignent les échoppes de luxe et leur clientèle à la prospérité ostensible. C’est là qu’il prend soin de personnalités en quête de discrétion.

Son rôle: concierge de luxe. Le chef d’entreprise loue des avions, des yachts haut de gamme et des villas d’exception. Et, si on lui demande, alimente volontiers le débat brûlant qui secoue son secteur: l’empreinte carbone des jets privés. «Avec les enjeux climatiques, il est certain qu’on doit se responsabiliser, assure-t-il. Je ne serais pas opposé à l’instauration d’une taxe sur le kérosène si elle permet de développer des infrastructures plus durables.»

Adel Kachermi a appris son nouveau métier «sur le tas», après avoir fait le deuil de sa gloire. «C’est la phrase que j’adore prononcer: j’étais jeune, riche et célèbre», lance-t-il. A 20 ans, il expérimente la vie de star, avec chauffeur et garde du corps. Avec ses deux amis d’enfance, Filip et Frank, ils forment un trio d’apollons sans la moindre aspérité. Pas d’alcool, pas de cigarette, pas de sexe: idoles des mouflets et de leurs parents. Le boys band écoule cinq millions de disques, voyage en Concorde, chante à l’Elysée. «C’était un tourbillon d’euphories, on s’impliquait dans notre art, on prenait soin de notre corps avec la danse, on sécrétait des endorphines», se souvient Adel Kachermi.

Leur soif de réussite est née d’une envie de sortir d’une condition sociale modeste, d’une vie «entourée de béton et de HLM». «Il y a encore un musée chez ma mère», confie-t-il. D’origine tunisienne, elle garde précieusement les traces du succès de son fils. Lui ne souhaite pas vivre dans le souvenir. Dans sa maison, en France voisine, il n’a rien conservé de cette époque faste: «Je ne suis pas quelqu’un qui vit dans le passé». Il reste toutefois «marqué au fer rouge» par cette aventure à la conclusion douloureuse.

Sa notoriété se consume, alors il prend la poudre d’escampette. «Quand on perd l’adrénaline, on va la chercher ailleurs. J’aurais pu choisir le sport mais non, je suis passé par des excès.» A la même période, il perd son père, sa femme le quitte, il connaît des problèmes d’argent. Il se réfugie dans les mondanités nocturnes, touche à la drogue, à l’alcool, espère une rencontre décisive pour la suite de sa carrière. «Les paroles de la nuit ne résistent pas au jour, admet-il. Je ne savais plus qui j’étais.» Commence alors une période de «sevrage des 2Be3», boys band que la presse française qualifiait de phénomène de société. Adel Kachermi enfile le costume d’homme ordinaire, prend le métro, va au marché et affronte le regard des autres. Avant, il recevait «de l’amour», désormais il a le sentiment qu’on le voit comme un has been. Vertigineux. Il décide de prendre soin de lui, consulte un psychothérapeute et s’essaie au parapente. Et sa mère lui demande: «Adel, est-ce que tu en as profité?» L’attention maternelle l’apaise.

De cette période d’errance, il retient le chemin retrouvé. Il évoque une personne bloquée dans l’insouciance infantile du succès et qui renaît dans la peau d’un adulte: «Je me suis demandé comment transformer ce que j’ai appris de cette aventure. J’avais un carnet d’adresses, un anglais perfectionné, un sens du commerce.» Des rencontres lui font découvrir le bout du lac et ses paysages montagneux où il aime prendre de la hauteur. En 2011, il fonde à Genève sa société de courtage dans l’aviation d’affaires. Son passé d’homme de lumière l’aidet-il à obtenir la confiance d’une clientèle de l’ombre? «Beaucoup ne savent pas ce que j’ai fait avant, s’amuse-t-il. Mais quand un client m’appelle, j’ai une forme d’empathie, je comprends ses besoins.» Comme cet homme d’affaires qui saute dans un jet privé pour retrouver sa famille dès que sa mission à l’étranger se termine…

Client curieux

Certains reconnaissent son sourire charmeur, son air mutin, les traits d’Adel des 2Be3. Un client fortuné ne cache pas son admiration pour sa vie passée. Il arrive que les deux hommes digressent au téléphone sur les paillettes. «Ça t’a fait quoi de chanter devant 20 000 personnes à Bercy?», a-t-il pu lui demander. «Un moment de grâce», répond-il dans son bureau vitré de Genève, comme plongé une fraction de seconde dans le souvenir savoureux d’une foule «fanatique». S’il est capable de raconter le beau, il n’en reste pas moins marqué par la douleur, celle d’une célébrité qu’il compare à un «cadeau empoisonné». En 2009, Filip Nikolic, son copain d’enfance avec qui il a partagé cette histoire, meurt à la suite d’une surdose de somnifères. Il ne s’attarde pas sur cette épreuve.

Adel Kachermi s’attache à sa pudeur, se contente de filets de mots. Une voix ténue, de celle qui permet les confidences heureuses: un projet de série sur le rêve des 2Be3 pourrait voir le jour sur une plateforme de streaming. C’est en discussion. «Du good feeling», promet-il. ■

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2022-09-26T07:00:00.0000000Z

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