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L’Oktoberfest, parenthèse d’insouciance entre deux crises

Après deux années de pause en raison de la pandémie, la fête de la bière de Munich est de retour et contraste avec l’ambiance morose qui règne dans le reste du pays

DELPHINE NERBOLLIER, MUNICH @delphnerbollier

Il est à peine 18h en ce début de semaine et l’ambiance est à son comble dans l’immense tente du brasseur Paulaner. Environ 9000 personnes – pour la plupart en costume traditionnel bavarois, culottes de cuir pour les hommes, Dirndl pour les femmes – entonnent en choeur des tubes des années 1980 et 1990, debout sur les bancs, un litre de bière à la main. «Quelle ambiance! Nous attendions le retour de l’Oktoberfest avec une telle impatience», se réjouissent Maria et Edelbraud, privées durant deux ans de cette plus grande fête populaire du monde, pour cause de pandémie. «Venir ici, c’est comme passer des vacances, on ne compte pas nos sous», lancent-elles.

Dans cette atmosphère, difficile de croire que le reste du pays ne pense qu’aux effets de l’inflation et aux économies d’énergie à l’approche d’un hiver potentiellement sans gaz russe. Même la baisse d’affluence des premiers jours – le premier week-end a attiré 700 000 visiteurs contre un million habituellement – est minimisée par les organisateurs. «Est-ce le temps, le corona, la crise? L’important n’est pas de battre des records mais que nos visiteurs soient heureux», lance Clemens Baumgärtner, chargé des questions économiques à la ville de Munich.

Stephan Kuffler, qui gère 250 employés dans sa tente dite «Weinzel» capable d’accueillir 1500 personnes, ne veut pas non plus se faire voler son plaisir. «C’est vrai, le chiffre d’affaires

«Tout est plus cher: le prix des groupes de musique, de la nourriture. Nous aussi avons accru nos tarifs de 15 à 20%»

ARABELLA SCHÖRGHUBER, GÉRANTE DE LA TENTE PAULANER

des premiers jours est un peu en retrait par rapport à 2019 mais nous sommes très satisfaits. Ici, les gens veulent se distraire et ne penser ni à hier ni à demain», constate-t-il.

Derrière la fête et ce sentiment d’insouciance, le spectre des crises n’est toutefois pas loin. «Notre plus grand défi est le coût de l’énergie et l’incroyable hausse des prix du carburant qui rend difficile le transport par camions des manèges et attractions», concède Yvonne Heckel, qui représente les 400 forains du site. «Certains biens, devenus très chers, sont aussi absents cette année, comme les ballons de baudruche utilisés sur les stands de tir et les bananes au chocolat», constate-t-elle.

Litre de bière à plus de 13 euros

Comme dans le reste du pays, les prix des attractions et de l’alimentation ont augmenté sur le Wiesn, le site où se déroule cette immense fête. Le litre de bière est passé de 12 euros en 2019 à plus de 13 euros cette année. «Tout est plus cher: le prix des groupes de musique, de la nourriture. Nous aussi avons accru nos tarifs de 15 à 20%», admet Arabella Schörghuber, qui gère la tente Paulaner. «Les prix ne peuvent que modérément augmenter pour que la fête reste populaire», concède Yvonne Heckel. «Nous devons fournir de la qualité pour que les gens acceptent de dépenser. Nos marges, elles, vont baisser», remarque-t-elle. Lors de sa dernière édition, en 2019, l’Oktoberfest avait généré 1,3 milliard d’euros (1,28 milliard de francs) de chiffres d’affaires et attiré 6,3 millions de visiteurs.

Pour réduire les coûts, les organisateurs ont pris des mesures, comme l’absence de chauffage dans les zones extérieures destinées à boire et manger. Pas question en revanche de réduire les éclairages. Grande roue, manèges et autres tentes brillent de mille feux alors que de nombreuses villes ont cessé d’illuminer leurs bâtiments publics. La décision fait polémique sur les médias sociaux.

Du côté des six brasseurs munichois autorisés à écouler leur élixir sur le site, l’ambiance se veut positive. Après la pandémie de coronavirus qui a impacté les plus petits brasseurs et vu baisser la consommation mondiale de bière, s’ajoute la hausse des coûts du gaz – énergie essentielle dans le processus de fabrication – et les difficultés rencontrées par les fabricants de bouteilles.

L’impact de la guerre

Chez Paulaner, connu pour ses bières de qualité premium, on concède surtout des difficultés liées à la guerre en Ukraine. «Si l’on prend en compte le marché russe où nous avons stoppé toutes nos activités depuis le 24 février, nous enregistrons une croissance nulle de nos exportations durant les huit premiers mois de l’année. Mais en enlevant la Russie, nos exportations ont progressé de 14% grâce à la Chine et aux Etats-Unis», relève Florian Ney, responsable du secteur international.

Dans ce contexte, tous le reconnaissent: le retour de la fête de la bière de Munich est assurément l’une des rares bonnes nouvelles de l’année pour les visiteurs, et pour les six brasseurs munichois habilités à produire la fameuse bière estampillée Oktoberfest. Une parenthèse légère à ne pas rater, en attendant la prochaine crise. ■

Economie

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2022-09-26T07:00:00.0000000Z

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