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Kamala Harris, en campagne mais pas trop

La vice-présidente cherche à mobiliser l’électorat démocrate en se concentrant sur l’avortement, les femmes, les jeunes et les Afro-Américains. Mais elle doit contenir ses propres ambitions pour éviter de faire de l’ombre à Joe Biden

VALÉRIE DE GRAFFENRIED, NEW YORK @vdegraffenried

Quand Kamala Harris fait parler d’elle, ce n’est pas toujours comme elle le souhaiterait. Récemment, elle a eu droit à un «cadeau spécial» du gouverneur du Texas: plusieurs bus de migrants débarqués près de sa résidence de Washington, en guise de protestation contre une politique jugée «laxiste». Mais que fait donc vraiment la vice-présidente? En pleine saison des élections de mi-mandat, la question, forcément, émerge avec plus d’acuité. La réponse est relativement simple: sa seule fonction la contraint à rester assez en retrait. Elle doit surtout s’accrocher à une décision de Joe Biden.

Le président démocrate a confirmé la semaine dernière, lors d’une rare interview accordée à CBS, qu’il n’avait pas encore décidé s’il allait se représenter ou pas pour la présidentielle de 2024. Une prise de position assez logique: déclarer avant les «midterms» qu’il renonce à se porter candidat relèverait du suicide politique. Sauf que, pour l’instant, c’est le scénario inverse qu’il semble privilégier. Kamala Harris, qui peut se targuer d’être devenue la toute première vice-présidente des Etats-Unis, n’a d’autre choix que de rester tapie dans l’ombre, sans exprimer ses propres ambitions.

Popularité en berne

Au moment de la nommer, Joe Biden avait laissé entendre qu’il avait choisi quelqu’un avec «l’étoffe d’une présidente». Il s’était également positionné en président de la transition, ce qui pouvait laisser penser qu’il ne viserait qu’un seul mandat. Mais alors qu’il fêtera ses 80 ans en novembre, il semble toujours plus déterminé à rempiler, avec Kamala Harris à nouveau comme colistière. «Est-ce une décision définitive que je me représenterai? Cela reste à voir», a-t-il souligné sur CBS, tout en laissant entendre que c’était a priori son intention. L’autre inconnue, majeure, concerne ce que fera Donald Trump, empêtré dans des affaires judiciaires.

Le destin de Kamala Harris est plus que jamais étroitement scellé à celui de Joe Biden. Sa courbe de popularité suit d’ailleurs celle, mauvaise, du président. Selon le site de référence FiveThirtyEight, 48,7% des sondés ont un avis négatif sur elle alors que 38,5% approuvent son travail. Fin avril, elle avait 58% des sondés contre elle. Mais son agenda, moins couvert par les médias, reste chargé. Ses déplacements sont nombreux. C’est elle qui, le 11 septembre, s’était rendue à New York, avec son époux, pour les commémorations sur les lieux des attentats. Rien que la semaine dernière, elle a, lundi, alors que Joe Biden assistait à Londres aux funérailles de la reine d’Angleterre, présidé la cérémonie de prestation de serment d’un ambassadeur américain. Mardi, elle s’est déplacée en Caroline du Sud, dans le cadre du National Voter Registration Day et pour échanger avec des jeunes Américains sur des problèmes qui les touchent, comme la santé mentale. Mercredi, elle assistait à une messe à la cathédrale de Washington en hommage à la reine d’Angleterre. Jeudi, elle était dans le Wisconsin, pour rencontrer des leaders latinos locaux et participer à une conférence de l’association des procureurs généraux démocrates.

Avec les «midterms», Kamala Harris ambitionne de devenir plus visible et surtout de mobiliser les électeurs démocrates. Elle affronte la campagne de manière ciblée, en se concentrant notamment sur les jeunes, les femmes et l’électorat afro-américain, ainsi que sur le dossier de l’avortement après l’impopulaire décision de la Cour suprême de neutraliser l’arrêt Roe v. Wade de 1973, qui garantissait aux Américaines le droit de pouvoir avorter jusqu’à la 22e semaine de grossesse environ. Après une année entachée de faux pas et de difficultés – plusieurs collaborateurs dans son entourage proche ont soit démissionné, soit été limogés –, elle aurait trouvé ses marques, étant désormais moins sur la défensive pour réagir aux attaques.

Ron DeSantis en embuscade?

Nouvelle équipe, nouvelle dynamique? Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’Université de Paris-II Assas et auteur de Kamala Harris. L’Amérique du futur (Nouveau Monde), reste persuadé qu’elle va éclore après les «midterms» et que Joe Biden lui prépare le terrain. «Le fait qu’on ne parle jamais d’elle nous montre tout le métier de Joe Biden. Souvenons-nous comment elle a été attaquée par le Grand Old Party [Parti républicain, ndlr], qui a bien compris quelle sera sa trajectoire. Biden prend tout l’espace et toutes les critiques, ce qui permet à Kamala Harris de déplier ses ailes en restant à l’abri», analyse-t-il.

Il ajoute ne pas entendre de critiques sur les bancs démocrates la concernant. «Elle n’a laissé d’espace à personne pour émerger. On parle, certes, de Gavin Newsom, gouverneur de Californie, mais je vois mal un autre Californien se lancer contre elle. Ce serait contre-productif et il n’aurait aucun soutien des réseaux de l’ouest, dont fait partie Nancy Pelosi, la speaker démocrate de la Chambre des représentants.»

Comme Joe Biden, Kamala Harris s’est récemment montrée plus virulente à l’égard des conservateurs extrémistes. Lors d’une récente réunion du Comité national démocrate dans le Maryland, elle a clairement exprimé son refus de «laisser les soi-disant leaders extrémistes démanteler notre démocratie».

Si Kamala Harris est condamnée à rester pour l’instant discrète, elle se tient prête à prendre la lumière après les «midterms», en espérant retrouver la phase «lune de miel» qui avait suivi sa nomination. Mais pour autant que Joe Biden lui en laisse la possibilité. Jusqu’ici, elle n’a véritablement pu ressentir le poids de la présidence que pendant une heure et vingt-cinq minutes. Le temps qu’il fallut à Joe Biden pour subir une coloscopie de routine et lui transférer les pouvoirs présidentiels.

«Joe Biden prend tout l’espace et toutes les critiques, ce qui permet à Kamala Harris de déplier ses ailes en restant à l’abri» JEAN-ERIC BRANAA, UNIVERSITÉ DE PARIS-II ASSAS

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