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Des agriculteurs heureux mais lassés

Malgré un succès clair, les paysans défendant la cause de l’élevage conventionnel n’ont pas sablé le champagne. La victoire du jour n’efface pas toutes les attaques subies depuis plusieurs années et qui pourraient rapidement revenir sur la table

RAPHAËL JOTTERAND @Raph_jott COLLABORATION: M. G.

En plein centre de Lausanne, à quelques pas d’Ouchy, le stamm des agriculteurs vaudois était bien loin des clichés souvent affiliés à la branche. Des produits du terroir à grignoter, du jus de pommes d’une ferme artisanale, le tout servi dans des verres en résine de bambou biodégradables.

Comme quoi, même chez Prométerre, plus grand lobby vaudois des métiers de la terre, des efforts sont faits pour se mettre à la page sur les questions environnementales. A côté du jus de pommes peu servi, les bouteilles de vin blanc font meilleure impression. Il faut dire qu’avec près de 63% des votes contre l’initiative sur l’élevage intensif, les membres de la campagne du non ont le droit de célébrer leur victoire en trinquant un verre. Sans risquer une gueule de bois au réveil.

Deux sur deux

«Nous étions confiants en nous levant, nous sommes désormais satisfaits, sourit Luc Thomas, directeur de Prométerre. Les résultats sont la preuve qu’une large majorité de la population est consciente que la qualité de détention des animaux en Suisse est correcte et que cette initiative aurait été contre-productive en obligeant d’importer plus de produits de pays étrangers qui ne respectent pas forcément les mêmes normes qu’ici.»

Néanmoins, cette victoire dans les urnes confirme le résultat obtenu un an plus tôt lors des initiatives phytosanitaires qui avaient été repoussées par 60,6% des suffrages. «La campagne a été plus constructive et moins émotionnelle. Je pense que la faîtière du bio était consciente qu’en cas de oui, les conséquences économiques seraient désastreuses», analyse Luc Thomas.

Parmi les soutiens de ce texte, moins d’agriculteurs ont pris la parole qu’il y a un an. Par peur des représailles, mais aussi car «la stratégie des initiants de ne pas collaborer avec les agriculteurs mais de s’y opposer frontalement n’a pas convaincu». C’est Nicolas Barth, paysan jurassien à contre-courant de l’agriculture traditionnelle, qui nous le confiait il y a quelques semaines.

Si la plupart du monde agricole peut se réjouir de ce dimanche de votations, il ne faut toutefois pas négliger le tiers de la population qui a voté en faveur de l’abolition de l’élevage intensif. «Nous n’avons pas le droit de nous reposer sur nos lauriers. Il faut agir continuellement pour améliorer l’agriculture conventionnelle», estime Steve Montandon président des Jeunes agriculteurs vaudois qui relève une certaine contradiction entre les votes et la réalité du terrain. «Seuls 3% des gens achètent du poulet et du porc bios, et 30% de la production est vendue en format conventionnel faute de demande. Le décalage entre les gens qui votent et les consommateurs est énorme.»

Même Manon Chapuis, agricultrice bio à Champvent, est rassurée par le résultat du jour. «Les initiants n’ont pas cessé de nous dire que ça ne touchait que 15% des exploitations. En réalité, ça impacte tout le monde. Les prix auraient diminué à cause du surplus et l’alimentation labellisée aurait été dévalorisée. Il faut agir en fonction de la clientèle et non pas l’inverse. En l’occurrence, le porte-monnaie du consommateur ne peut pas se permettre de faire de tels efforts.»

Fatigue dans la branche

«Dans le cadre de cette campagne, on a montré, du côté des initiants, beaucoup d’images négatives pour toucher les émotions des gens» DANIEL WÜRGLER, AVICULTEUR ET PRÉSIDENT DE GALLOSUISSE

Mais à force de batailles, le monde agricole pourrait aussi s’épuiser. «Emotionnellement c’est très dur à supporter. Cette pression d’être constamment pointés du doigt est un poids qui nous pèse au quotidien, soupire Pascal Savary, éleveur à Payerne d’environ 20 000 poulets. A l’époque presque tout le monde avait dans sa famille un oncle, un cousin ou un grandpère paysan. Aujourd’hui ce n’est plus le cas et les représentations qui peuvent être faites sur notre profession ne sont plus les bonnes. Il y a trente ans, on égorgeait le poulet vivant, aujourd’hui ça serait inimaginable. Notre monde est en constante évolution.»

Daniel Würgler, aviculteur et président de GalloSuisse, abonde dans ce sens. «Le mal est fait. Dans le cadre de cette campagne, on a montré, du côté des initiants, beaucoup d’images négatives pour toucher les émotions des gens. Cela donne une fausse idée des conditions d’élevage. Les émotions prennent le dessus et plus personne n’écoute les producteurs. Nous n’avons presque pas la possibilité d’expliquer en détail notre travail. Une immense majorité des éleveurs aiment leurs animaux et les respectent. On constate une grande fatigue des agriculteurs qui sont constamment pointés du doigt. C’est une charge émotionnelle lourde à porter, en dehors de toutes les votations.»

Votations Fédérales

fr-ch

2022-09-26T07:00:00.0000000Z

2022-09-26T07:00:00.0000000Z

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