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Le monde paysan plus soulagé que triomphant

Le peuple rejette l’initiative contre l’élevage intensif à une large majorité de 63%. Mais le clivage entre consommateurs citadins et éleveurs reste très marqué

MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaume

De suspense, il n’y a pas eu, même si les premiers sondages prévoyaient un score meilleur pour l’initiative contre l’élevage intensif. Celle-ci a été largement rejetée par 63% des votantes et des votants. Le monde agricole est plus soulagé que triomphant, tandis que le mouvement Sentience, qui était à son origine, s’est consolé par le fait que l’initiative a eu «une grande visibilité dans l’opinion publique».

Elles aussi repoussées voici quinze mois, les deux initiatives «Pour une Suisse libre de pesticides» et «Pour une eau potable propre» avaient enflammé et aussi déchiré le monde agricole. Cette fois-ci, le débat a été intense, mais tout de même moins violent. Le résultat est très semblable, laissant entrevoir le même clivage entre des consommateurs exigeants, surtout dans les villes où l’initiative a été acceptée, et des éleveurs frustrés d’être constamment cloués au pilori sur les réseaux sociaux. Si seul Bâle-Ville a approuvé l’initiative, celle-ci a réalisé de très bons scores à Genève et à Zurich.

«Je suis très satisfait, déclare Pierre-André Page (UDC/FR), lui-même agriculteur. Ce résultat est la preuve que la population soutient ses paysans et ne se laisse pas berner par une initiative qui aurait mis une grosse pression sur nos modes de production, lesquels sont déjà les plus sévères du monde.» Même son de cloche chez Jacques Bourgeois (PLR/FR), ancien directeur de l’Union suisse des paysans. «En Suisse, il n’y a pas d’élevage intensif par rapport aux pays voisins. Nous avons par exemple une ordonnance limitant les exploitations à 18 000 poules pondeuses, alors qu’en Allemagne, la moitié des aviculteurs travaillent avec 100 000 poules.» Selon lui, l’initiative aurait sensiblement affaibli la sécurité de l’approvisionnement dans notre pays. «Elle aurait été inapplicable, car il aurait été impossible de contrôler que les produits importés correspondent aux normes suisses», ajoute Jacques Bourgeois.

«La dignité de l’animal, une promesse hypocrite»

Le camp du oui était, dimanche après-midi, réuni à Uettligen (BE), dans une ferme et un magasin bios. C’était la déception bien sûr, même si elle était attendue. «Aujourd’hui, la Suisse a raté l’occasion d’améliorer la vie de millions d’animaux d’élevage. Ainsi, la dignité de l’animal inscrite dans la Constitution reste une promesse hypocrite qui ne répond pas aux besoins des animaux», déplore Silvano Lieger, directeur de Sentience.

Adèle Thorens (Les Vert·e·s/VD) exprime aussi des regrets. «Nous n’avons pas réussi à montrer que cette initiative était visionnaire dans la mesure où elle touchait la prochaine génération d’éleveurs en leur accordant un délai de vingt-cinq ans pour s’adapter.» L’horizon fixé était 2050, correspondant au délai relatif à l’application de l’Accord de Paris sur le climat que la Suisse a ratifié.

Entre Sentience et la gauche d’une part, les paysans conventionnels et la droite d’autre part, le débat a été très idéologique. «Le problème, c’est que les paysans pensent que nous leur en voulons personnellement lorsqu’on veut faire changer les pratiques, relève Clément Tolusso, attaché de presse du comité d’initiative. Il faut pourtant reconnaître que lorsqu’on produit 80 millions de poulets par an, on impacte fortement l’environnement et la santé publique.»

Trois initiatives, trois échecs. Quelles leçons en tirent les écologistes? «Nous devons désormais travailler avec les paysans, car sans eux nous n’arriverons à rien, suggère Adèle Thorens. La coalition gagnante sera composée d’une bonne partie des agriculteurs, des consommateurs et des milieux écologistes.» La sénatrice verte reconnaît que le sentiment d’injustice que ressentent les paysans est en partie fondé. «Les consommateurs, en exigeant du bio mais en renonçant à l’acheter, pour la plupart d’entre eux, font preuve d’une incohérence un brin schizophrénique.»

Chez les vainqueurs, on refuse tout diktat. «Nous sommes à l’écoute du marché. Le jour où les gens réduiront leur consommation de viande, nous nous adapterons», promet Pierre-André Page. De son côté, la gauche veut continuer à se battre pour une agriculture plus durable. «Dans ce débat, on oublie les intermédiaires du marché, comme les transformateurs et les distributeurs que sont Coop et Migros, dont les marges bénéficiaires sont aussi disproportionnées qu’opaques», s’insurge la climatologue Valentine Python (Les Vert·e·s/VD). Elle annonce déjà que son parti déposera deux initiatives parlementaires, notamment pour exiger plus de transparence en donnant plus de moyens à l’Observatoire des prix.

Votations Fédérales

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2022-09-26T07:00:00.0000000Z

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