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Fractures et oui historique

Après un suspense inattendu, la droite et le Conseil fédéral terrassent la gauche et font passer la réforme de l’AVS, une première depuis 1995. Les femmes travailleront désormais jusqu’à 65 ans. Un fossé se creuse entre Latins et Alémaniques

PHILIPPE BOEGLIN, BERNE @BoeglinP

Ils ont tremblé, mais ont fini par passer. Les partis bourgeois, le Conseil fédéral, le ministre Alain Berset et les milieux économiques ont vécu un suspense plutôt inattendu dimanche dans la votation populaire sur l’AVS, avant de franchir l’écueil de quelques cheveux. Par 50,6% des voix, les Suisses ont approuvé le projet AVS 21 et la hausse de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans. L’autre hausse, celle de la TVA de 7,7 à 8,1%, s’en sort plus facilement avec 55,1% des suffrages et 18 cantons. Les instituts de sondage, surtout gfs. bern, annonçaient une victoire plus nette. Il n’en a rien été. Ce classique de la politique fédérale a tenu toutes ses promesses. Et le fossé se creuse fortement, entre les Latins, vent debout contre la réforme, et les Alémaniques.

Une muraille s’effondre. Depuis 1995, le peuple n’avait plus accepté de relever l’âge de départ des femmes. Il y a tout juste cinq ans, il avait encore opposé une fin de non-recevoir à la réforme Prévoyance vieillesse 2020, soutenue par la gauche.

Aujourd’hui, changement de décor, Les Vert·e·s et le Parti socialiste combattaient AVS 21. Face à eux, un mur bourgeois (Le Centre, les vert’libéraux, les libéraux-radicaux, l’UDC), les grandes organisations économiques et le Conseil fédéral, avec le ministre socialiste Alain Berset contre sa propre famille politique.

Les partisans vantent l'«équilibre» du projet

Largement majoritaire sur le papier, ce front a réussi où d’autres ont échoué ce dernier quart de siècle. Ses représentants l’attribuent volontiers à «l’équilibre» du paquet soumis au vote, et au fait que les finances de l’AVS peinent toujours plus sous l’effet du vieillissement démographique. Les femmes âgées de 55 ans et plus lors de l’entrée en vigueur de la réforme toucheront des suppléments de rente, bas pour les revenus élevés, et allant jusqu’à 160 francs pour celles ayant encaissé moins de 57 360 francs par année. AVS 21 entraîne aussi une certaine flexibilisation du départ à la retraite.

Et, contrairement à la réforme avortée Prévoyance vieillesse 2020, le souverain ne s’est prononcé que sur le premier pilier du système des retraites, et pas sur les deux. «Le mélange des deux piliers avait conduit, entre autres, à l’échec en 2017», estime MarieFrance Roth Pasquier, vice-présidente du Centre et conseillère nationale (FR). «Le premier pilier, l’AVS, est solidaire et à l’avantage des femmes. Ce qui est moins le cas du deuxième. En séparant les deux volets, nous avons amené plus de clarté dans l’esprit de la population.» Les réalités financières ont aussi pesé sur la décision. «Les Suisses ont pris leurs responsabilités afin d’assurer nos retraites, pour nos enfants et les générations à venir.»

Les milieux patronaux affichent une mine tout autant réjouie. Pour la directrice d’Economiesuisse, Monika Rühl, «les citoyens ont compris qu’il fallait enfin réformer l’AVS, ce qui avait toujours échoué depuis un quart de siècle. La pression démographique augmente, et on veut que les jeunes puissent aussi bénéficier de cette assurance sociale.» La dirigeante croit aux atouts concrets du projet accepté. «AVS 21 offre non seulement l’égalité de traitement entre femmes et hommes pour l’âge de départ à la retraite, mais aussi une flexibilisation accrue, qui répond à un besoin de la population. De plus, les femmes de la génération de transition recevront une compensation généreuse, et à vie. Dans l’ensemble, ce paquet est positif, plus généreux et ciblé que la réforme Prévoyance vieillesse 2020 que nous refusions en 2017.»

Un oui contre les femmes et les Latins

Il va sans dire que la gauche a un avis radicalement différent. «Avec ce vote si serré, c’est un oui contre les femmes, contre la Suisse romande et contre le Tessin. Il faut arrêter de concevoir des projets qui nous divisent», s’énerve Flavia Wasserfallen, conseillère nationale socialiste (BE). Son collègue vaudois Pierre-Yves Maillard identifie un «triple clivage»: linguistique, de genre, et social, «avec un oui plus élevé lorsque le niveau de revenu monte. On ne devrait pas se permettre de faire ceci en temps de crise.»

Force est de constater toutefois que l’état des finances de l’AVS inquiétait une bonne partie de la population. «J’ai senti en faisant campagne qu’il y avait de grandes préoccupations à ce propos. Tout le monde veut que l’AVS se porte bien», avance Flavia Wasserfallen. La gauche préconisait d’autres sources de revenus, comme les cotisations salariales ou les réserves de la Banque nationale suisse.

Elle pourra à présent brandir ce résultat ultra-serré dans les dossiers «parents» à venir. Dépasser la barre des 65 ans, comme le souhaite une partie de la droite, semble pour le moins compromis. «On peut l’oublier», tranche la Bernoise. En outre, la réforme en cours du deuxième pilier des retraites – la prévoyance professionnelle (LPP) – se verra vraisemblablement marquée par le vote de dimanche. La gauche attend ici que le camp bourgeois abandonne ses projets de durcissement et se rallie à la version des partenaires sociaux et du Conseil fédéral. Elle n’oublie pas non plus d’autres combats, comme l’inégalité salariale, les bas revenus des branches «typiquement féminines» (commerce de détail, soins), ou la garde externe des enfants. La prochaine grève des femmes, annoncée dimanche soir, sera animée.

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2022-09-26T07:00:00.0000000Z

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