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Le maillot de bain menstruel, outil de libération et d’acceptation de soi

Liana Menétrey @LianaMenetrey

Aller à la piscine quand on a ses règles: hors de question pour certaines. La peur de la fuite rouge entre les jambes ou du fil du tampon qui dépasse en freine plus d’une. C’est que le tabou ancestral qui entoure les règles est coriace: le sang menstruel est considéré comme sale, il ne faut donc pas en parler et encore moins risquer de l’exposer aux autres. Or, signe d’une libération progressive de la parole sur le sujet, le maillot de bain menstruel fait son apparition. Héritier des culottes à succès du même type, il pourrait transformer les règles de la baignade des personnes menstruées.

Loin de la «fast fashion»

La jeune entreprise genevoise Lovimi est la première sur le marché suisse romand à proposer des bikinis menstruels. «On sent qu’une réelle envie de franchir le cap est présente chez les femmes», explique la cofondatrice Eva Mellen. Différents modèles de culottes sont proposés, pour des flux légers et moyens. Pour les flux abondants, le maillot doit être couplé à une autre protection interne, comme une cup ou un tampon. Entre 45 et 72 francs l’unité, la culotte absorbante représente un petit investissement par rapport à un maillot de fast fashion et se justifie par une démarche écologique (matériaux recyclés, production européenne).

Pour l’entretien, le principe est le même que pour la culotte menstruelle: le maillot doit être rincé à l’eau froide après usage et lavé à la main ou en machine à 30 degrés. Doté de trois couches techniques fines et ultra-absorbantes, le vêtement garantit une protection discrète et efficace. Cet assemblage de matières permet au modèle de respirer et évite un effet de gonflement dû à l’eau.

Parmi les clientes de Lovimi? Des mamans qui achètent ces maillots pour faciliter les baignades de leurs filles venant d’avoir leurs premières règles. Mais aussi, des adeptes des culottes menstruelles. C’est le cas d’Amélie Armstrong, 33 ans, qui ne regrette pas son choix. «C’est une alternative au tampon dont je veux me défaire depuis que j’ai appris qu’il contenait des produits chimiques.»

«Se réapproprier son corps»

La marque valaisanne Oûna propose également depuis cette année une collection de bikinis adaptés. Sa fondatrice, la créatrice de mode Stélina Lorieux, dit avoir été sensible à l’appel de sa communauté. Au début, elle doutait de l’utilité de ces maillots, surestimés selon elle par nombre de marques: «Je n’étais pas convaincue jusqu’à ce que j’essaie moi-même.» Puis elle s’est convertie: «C’est bien plus qu’un simple produit, il apporte beaucoup de sérénité aux femmes.» Mais pas uniquement: le maillot représente aussi, relèvet-elle, un moyen de se réapproprier son corps. «On lave son propre sang, on le voit. Sa couleur et sa texture sont des indications importantes sur notre santé générale.» Stélina Lorieux va jusqu’à affirmer que ces culottes constituent un pas vers la déstigmatisation des menstruations.

Certaines pourraient toutefois craindre que le maillot menstruel ressemble à s’y méprendre à la «culotte de grand-mère». Les fabricants en sont bien conscients: s’ils mettent en avant le confort de leurs produits, ils misent aussi sur leur élégance. Et ce, du maillot de bain une pièce à la culotte taille haute. Inscrites dans le mouvement body positive, qui prône l’acceptation de soi et de son corps, certaines marques françaises proposent des tailles allant du XS jusqu’au XXXL. «J’aimerais bien pouvoir proposer du XXXL pour m’adapter à toutes les morphologies, mais de grandes contraintes budgétaires pèsent sur les petites entreprises éthiques. Chaque développement de produit, en particulier des grandes tailles, représente des coûts supplémentaires astronomiques», regrette Stélina Lorieux.

Mais encore faut-il oser sauter le pas. Pour celles qui, depuis toutes petites, ont baigné dans un discours sociétal qui stigmatise les menstruations, faire confiance au bikini absorbant n’est pas aisé. «Il y a encore de fortes craintes et une part d’incompréhension», admet Eva Mellen. Journaliste et autrice de Ceci est mon sang. Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font (Ed. La Découverte, 2017), Elise Thiébaut rappelle que le tabou perdure depuis des millénaires: «Son origine remonte à la préhistoire. Des croyances et superstitions autour des règles ont longtemps visé à écarter les femmes des cercles de pouvoir, aussi bien politique que religieux. C’était un moyen de les enfermer dans le cercle domestique.» Il n’est donc pas étonnant, selon Elise Thiébaut, que le changement de représentations en la matière prenne du temps.

Reste que la revanche des culottes et des bikinis pourrait aller au-delà de la simple tendance passagère et représenter un nouveau symbole de liberté et d’émancipation féminine. Et si le plongeon en toute décontraction était un acte politique?

«C’est une alternative au tampon dont je veux me défaire depuis que j’ai appris qu’il contenait des produits chimiques» Amélie, 33 ans

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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