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Une question de regard

Elisabeth Stoudmann @estoudmann

Félicité, chanteuse de bar de Kinshasa, a séduit le monde entier avec son regard clair, son esprit vagabond, son combat pour sauver la jambe de son fils accidenté. En 2017, le réalisateur francosénégalais Alain Gomis remportait l’Ours d’argent au Festival de Berlin et l’Etalon d’or au Fespaco pour ce film auquel l’héroïne a donné son nom. En 2019, Mati Diop raflait le Grand Prix du Festival de Cannes 2019 avec Atlantique, qui montre une jeunesse dakaroise à la dérive et candidate à l’émigration clandestine. Les films africains sont désormais dans toutes les sélections des grands festivals internationaux et plusieurs manifestations, dédiées uniquement à leur mise en avant, se développent. Le septième art du continent séduit aussi Hollywood et la pop culture. En 2018, Black Panther, première superproduction afro-futuriste, a été réalisé par l’Afro-Américain Ryan Coogler avec des acteurs américains et africains. Son tournage a eu lieu sur le continent avec pas mal d’emprunts à ses cultures. La même année, Jay-Z et Beyoncé annoncent une tournée de concerts commune, en posant sur une moto, réplique presque parfaite de celle aux cornes de zébu du film culte Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty. Si le cinéma africain est dans l’air du temps, on ne sait plus trop ce qu’il englobe: des films de cinéastes du continent, de sa diaspora, des oeuvres signées par des réalisatrices et réalisateurs métis, voire par des étrangers passionnés par des sujets africains. A partir de combien de générations devienton un cinéaste afro-descendant et non plus un cinéaste africain? Avec ses innombrables cultures et ses antennes hors sol, difficile de dire ce qui fait aujourd’hui qu’un film est africain. Les regards se croisent. De l’intérieur ou de l’extérieur, l’Afrique est vécue, imaginée, fantasmée. Certains estiment que les réalisateurs et réalisatrices de la diaspora plaisent plus en Europe qu’en Afrique parce qu’ils ont assimilé les codes de leur lieu de vie et qu’ils joueraient en quelque sorte le rôle de passeurs. D’autres pensent qu’à force de se mondialiser, le genre va se dénaturer. D’autres enfin considèrent que l’ère du numérique a déclenché un véritable «boost», tant du point de vue de la réalisation que de la diffusion de ces films via les plateformes de streaming. Une chose est sûre, depuis quelques années: le cinéma dit «africain» participe pleinement au renversement de paradigme et de regard porté sur l’Afrique du passé, du présent et du futur. Félicité peut continuer de déambuler dans Kinshasa et de planter son regard droit dans les yeux des spectateurs du monde entier. Il nous parle.

Ouverture

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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