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En France, des hectares calcinés et de nombreuses questions

DENIS DELBECQ @effetsdeterre

Dans l’Hexagone, près de 50 000 hectares de forêt ont déjà brûlé, trois fois plus que ces dernières années, rendant indispensable l’aide de partenaires européens. Le pays est-il souséquipé? Faut-il repenser la gestion forestière? Décryptage avec deux experts

Si les jours prochains devraient apporter de la pluie sur les régions françaises touchées par les feux, il est probable que les précipitations ne mettront pas un terme à cet épisode d’incendies. Au contraire, les rafales sous orage pourraient même doper l’expansion des flammes et provoquer des instabilités dans les vents qui sont des menaces pour les pompiers. De même, la foudre pourrait déclencher de nouveaux sinistres sur les forêts peu arrosées.

Peut-on éteindre un incendie de grande ampleur?

«On peut noyer complètement un feu jusqu’à quelques dizaines d’hectares, de manière à prévenir un redémarrage, explique Sébastien Lahaye, expert en prévention des incendies de forêt, qui a été pompier plus de vingt ans dans le sud de la France avant de soutenir un doctorat sur les méga-feux. En revanche, quand un sinistre est plus étendu, en particulier quand il dépasse les mille hectares, il est pratiquement impossible de le noyer.» Ce qui oblige à surveiller le site pendant des jours, parfois des semaines suivant la nature du sol, car le feu peut couver et progresser sous terre, de manière invisible. «Toute la question est de pouvoir réintervenir au plus vite si nécessaire.» Une surveillance qui mobilise de nombreuses ressources, et qui n’a pas suffi à Landiras (Gironde), où les conditions de sécheresse extrême et les vents ont embrasé à nouveau la région le 9 août, plus rapidement encore que l’incendie initial de mi-juillet.

Les autorités françaises sont-elles débordées?

«Nous sommes face à un phénomène prévisible, explique Sébastien Lahaye. On sait qu’avec le réchauffement climatique, les incendies vont s’étendre à la fois dans le temps – une saison plus précoce – et dans l’espace, en remontant vers le nord. Mais ce qui devait être fait a été fait: il n’y a pas de victimes. On pourrait bien sûr renforcer les moyens aériens, mais ceux-ci ne remplaceront jamais les pompiers au sol. De plus, quand un incendie est très virulent, il arrive un moment où plus personne ne peut intervenir, pas plus les avions que les humains. On ne peut éteindre ces feux. Dans ce cas, la seule solution est l’évacuation de la population, ce qu’ont fait les autorités. Il faut donc renforcer la prévention.»

La forêt française est-elle mal entretenue?

La situation est très inégale, dans un contexte où seulement 25% des forêts sont publiques et gérées par l’Office national des forêts. Les trois quarts appartiennent à des propriétaires privés. A La Teste-de-Buch, en Gironde, où 7000 hectares ont brûlé en juillet, le mauvais entretien a été pointé du doigt. «Mais à Landiras, dans le même département c’est une forêt très entretenue qui a brûlé et qui brûle à nouveau, rappelle Arnaud Sergent, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), à Bordeaux (Gironde). La forêt des Landes est essentiellement privée. Mais la gestion du risque d’incendie y a toujours été considérée comme un modèle dans le monde entier.» Les propriétaires sont organisés en associations de Défense des forêts contre les incendies (DFCI), qui coordonnent un dispositif très complet de prévention: notamment des outils de surveillance (pylônes équipés de caméras), des zones coupe-feu ainsi que des pistes d’accès pour les pompiers et des points d’eau régulièrement espacés pour faciliter leurs interventions. «Les Landes de Gascogne sont la région française qui connaît le plus de départs de feu, mais les incendies y étaient rarement importants. On comprend qu’avec la multiplication des épisodes associant sols secs, sécheresse estivale et chaleurs extrêmes, cette stratégie a atteint

«On pourrait bien sûr renforcer les moyens aériens, mais ceux-ci ne remplaceront jamais les pompiers au sol» SÉBASTIEN LAHAYE, EXPERT EN PRÉVENTION DES INCENDIES DE FORÊT

ses limites.» Dans d’autres régions très exposées, en Dordogne ou en bordure de Méditerranée, la forêt n’est que peu entretenue, avec un risque de feu qui augmente là aussi d’année en année.

Faut-il remplacer les résineux par d’autres essences?

«Nous sommes tous étonnés par l’évolution des conditions climatiques, bien plus rapide qu’on le présageait, explique Arnaud Sergent. Les incendies, la mortalité des arbres, les attaques d’insectes témoignent de ce changement. Dans les Landes, les conditions liées aux sols sont très limitantes; le pin maritime est à peu près le seul arbre capable de vivre dans les conditions climatiques qui prévaudront demain sur plus de la moitié du territoire français. Quoi qu’il en soit, l’avenir est incertain et il faut tenter des expérimentations.» Un avis partagé par Sébastien Lahaye: «Il est très difficile de changer d’essence, car se pose aussi la question de la valorisation des arbres puisque l’entretien des forêts coûte cher. De fait, le remplacement de résineux par des feuillus ne marche que sur le papier.»

Quelle stratégie pour l’avenir?

Pour Arnaud Sergent, il faut tout repenser. «La stratégie française visait à prélever plus de bois pour des usages à long terme, par exemple dans la construction, tout en maintenant la fonction essentielle de puits de carbone des forêts pour freiner le réchauffement climatique.» Une idée qui semble intenable puisqu’il s’agit désormais d’éviter que les forêts ne disparaissent. «Se pose la question des moyens. Aujourd’hui, l’essentiel de l’effort de l’Etat consiste à réparer les dégâts, comme les attaques de ravageurs ces deuxtrois dernières années dans l’est de la France. Et demain pour replanter ce qui a brûlé cet été. Certaines de ces forêts avaient déjà été dévastées par des tempêtes, en 1999 et 2009. A force, les propriétaires n’auront plus les moyens d’investir. De plus, cela déstabilise toute la filière bois en France, au risque de fermer des usines ou d’accroître les importations de matière première.»

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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