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Alinghi: puissance et résistance, maîtres mots du recrutement

CAROLINE CHRISTINAZ @caroline_tinaz

En partenariat avec Alinghi Red Bull Racing, l’Hôpital de La Tour à Meyrin a été chargé de sélectionner les marins présents en 2024 sur le bateau lors de la Coupe de l’America. Les chercheurs superviseront également l’entraînement des athlètes lors de ces deux prochaines années

Trouver les Suisses les plus puissants et en faire des dynamos humaines au service d’un bateau. C’est la tâche qui est revenue aux chercheurs de l’Hôpital de La Tour, à Meyrin, mandatés par l’équipe d’Alinghi Red Bull Racing en vue de la participation du Défi suisse à la prochaine Coupe de l’America en 2024, à Barcelone.

De novembre 2021 à mars 2022, dans les locaux high-tech consacrés à la médecine du mouvement du centre hospitalier genevois et dans le plus grand secret, les quatorze membres de l’équipage présentés en juin à la presse ont participé à une sévère sélection parmi une vingtaine de candidats. Nul besoin d’y aller par quatre chemins pour comprendre quel était le profil recherché. «Nous avons dû trouver le nec plus ultra de l’excellence parmi les athlètes du pays», résume Finn Mahler, le chef du service de médecine du sport de l’Hôpital de La Tour.

S’adapter aux incertitudes

Le médecin avait déjà été engagé en amont de la victoire du Défi suisse de 2003 déjà. A l’époque, il avait sollicité Jean-Pierre Egger, le coach sportif connu pour avoir été longtemps aux côtés du lanceur de poids thurgovien Werner Günthör afin d’offrir un entraînement digne de ce nom aux équipiers d’Alinghi. Mais vingt ans plus tard, la donne a changé. Aujourd’hui à la tête d’un service entièrement dédié au mouvement à la pointe de la technologie, Finn Mahler a les ressources nécessaires pour satisfaire aux exigences de l’écurie d’Alinghi Red Bull Racing.

«Le management performance d’Alinghi Red Bull Racing nous a demandé de former l’équipe qui allait pouvoir générer le plus d’énergie possible, raconte Virgile Lecoultre, responsable du laboratoire de physiologie du sport et de l’exercice, chargé de dégotter les membres de l’équipage. Assez vite, nous nous sommes tournés vers d’autres disciplines en dehors de la voile.»

Devant les écrans qui tapissent les murs des locaux de l’hôpital, le chercheur se souvient des questionnements qui l’ont préoccupé durant toute sa chasse à l’homme. Si les nouvelles règles de la Coupe imposent que l’équipage soit entièrement suisse et qu’il soit réduit au nombre de huit marins à bord lors de la régate, de nombreuses incertitudes demeurent quant au fonctionnement du futur AC75, un monocoque à foils, lui-même encore en conception.

La mise à l’eau ce lundi, dans la rade de Barcelone, du Boat Zéro, le bateau test acquis auprès de Team New Zealand en début d’année, permettra ces prochains mois d’élucider les zones d’ombre. Car cet AC75 mis à l’eau pour la première fois en 2019 fera office de laboratoire technologique et sportif grandeur nature et facilitera la création du voilier qui sera utilisé lors de la compétition dans deux ans.

Début juin, lors de la présentation des membres de l’équipage à la presse, Arnaud Psarofaghis, le barreur phare d’Alinghi, témoignait d’une certaine excitation à l’idée de travailler avec l’équipe technique. A l’aube de l’été, ni lui, ni ses coéquipiers n’avaient encore mis les pieds sur un AC75. Tout restait encore à créer et à imaginer selon les nouvelles règles imposées pour la prochaine édition.

Deux groupes avaient cependant déjà été définis au sein de l’équipage. Les «conducteurs», tous des marins confirmés auxquels les choix stratégiques reviendront, et les générateurs de puissance qui, grâce à leurs muscles, leur force et leur forme, actionneront le bateau. Ce sont ces derniers qui ont retenu l’attention des chercheurs de l’Hôpital de la Tour.

Pour comprendre le rôle de ces athlètes: ils ont d’abord dû connaître le fonctionnement des AC75. «Pour la prochaine Coupe, les batteries qui actionneront les foils et les foils eux-mêmes seront identiques et standardisés pour tous les bateaux, décrit Finn Mahler. En revanche, ce sont les athlètes présents sur le bateau qui devront générer de l’énergie en continu afin d’alimenter les pompes hydrauliques nécessaires à la manipulation et au réglage des voiles, comme lors d’un virement par exemple.»

Autant la résistance que la force sont donc sollicitées. Mais lors des prospections, nul ne savait encore si la puissance requise sur le bateau allait provenir des membres supérieurs ou inférieurs des athlètes. Et, par conséquent, quelle était la discipline qui sculptait les corps les plus appropriés aux exigences d’Alinghi Red Bull Racing.

La rumeur évoquant des vélos placés en fond de cale l’a finalement emporté. «Il s’agit de l’outil qui offre le meilleur rendement, relève Virgile Lecoultre. Par ailleurs, nous avons constaté que les rameurs étaient capables de produire plus d’énergie en pédalant qu’en ramant.»

Taille aérodynamique

Avant de jeter leur dévolu sur deux rameurs, les chercheurs ont ratissé large en sondant auprès des pistards, des vététistes ainsi que des kayakistes. Un protocole de tests a été créé. «Les athlètes ont dû correspondre à des jauges de poids et de taille. Leur masse doit compléter celle de l’équipe et, s’ils sont trop grands, ils ont trop de prise au vent, reprend le chercheur. Mais ces critères ont été anecdotiques dans la sélection par rapport à la puissance absolue dégagée par l’athlète.»

Des machines ont été cassées, des cris ont été poussés et des larmes ont coulé. Finalement, aux côtés des deux rameurs, Barnabé Delarze et Augustin Maillefer, Théry Schir, un professionnel du vélo, a été retenu. «Des navigateurs avec des excellents profils de puissance complètent le reste de l’équipe, précise Finn Mahler. Avec le temps, les marins sont devenus de véritables athlètes. Le profil du navigateur de la fin du XXe siècle, buveur de bière en fin de journée, semble être définitivement révolu.»

Reste à voir comment ces athlètes s’adapteront aux contraintes du bateau. «On ne sait pas quelles seront leurs réactions à 100 km/h, trois mètres sous la ligne de flottaison du bateau en mouvement.» Mais si, comme en 2003, un simulateur est prévu, le médecin est confiant: les aspects psychologiques n’ont pas été négligés lors de la sélection, et seuls les plus endurcis et motivés ont été élus.

Virgile Lecoultre est même plutôt satisfait de son choix. «Rien que pour impressionner les adversaires, Barnabé Delarze est idéal.» N’oublions pas que la guerre psychologique fait partie du jeu de la Coupe de l’America.

Les chercheurs ont ratissé large en sondant auprès des pistards, des vététistes et des kayakistes

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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