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Un franc vaut plus qu’un euro, mais pas d’inquiétude

La force du franc permet de limiter l’inflation, qui est la priorité du moment. La devise helvétique va probablement continuer à s’apprécier

SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Un franc valait vendredi matin environ un euro et trois centimes. Le taux de change actuel, à 0,97 franc pour un euro, a été atteint après une hausse de 10% de la devise helvétique sur un an, sa progression la plus rapide depuis des années. La force du franc renchérit les exportations, ce qui pénalise la croissance économique. Mais cet aspect, qui peut peser sur la croissance suisse, occupe dorénavant une place secondaire dans la stratégie de la Banque nationale suisse (BNS), derrière la lutte contre l’inflation – la grande cause du moment. Une inflation qui aide aussi les entreprises suisses à s’adapter à un franc qui se traite en dessous de la parité avec le dollar et l’euro.

Durant la décennie passée, la BNS voulait éviter que le franc ne s’apprécie trop face à l’euro. Dans un contexte de déflation et de croissance faible, la priorité était de soutenir les exportations à destination de l’Union européenne, le premier partenaire commercial de l’économie suisse. Or «l’inflation est devenue le nouveau cheval de bataille et, dans ce cadre, bénéficier d’une monnaie forte est une bonne chose. La BNS cherche surtout à éviter que le franc ne s’affaiblisse face au dollar», analyse Fabrizio Quirighetti, chef économiste chez Decalia. Car l’inflation suisse est largement importée, à travers les achats de matières premières, qui sont principalement effectués dans la devise américaine. Un franc plus bas face à elle signifierait davantage d’inflation importée.

Ce risque est d’autant plus élevé que les prix des matières premières pourraient repartir à la hausse, après avoir baissé d’environ 17% depuis leur pic de juin, estime UBS. Les craintes d’une récession sont exagérées et il ne faut pas sous-estimer les limites qui pèsent sur l’offre, après des années de sous-investissement, argumente la banque dans une note de Mark Haefele, responsable des investissements pour la gestion de fortune. Les tensions géopolitiques devraient aussi compliquer l’acheminement du pétrole et d’autres produits, ce qui pourrait pousser les cours vers le haut.

Perte de compétitivité limitée à 4%

Un tel scénario incite la BNS à continuer de relever ses taux, après la hausse de 50 points de base effectuée le 16 juin, ce qui aura pour effet collatéral de soutenir le franc face à l’euro, même si la Banque centrale européenne relève également son taux en septembre. Ce contexte explique aussi que «la BNS est intervenue sur les marchés en juin et juillet pour acheter du franc à hauteur d’environ 50 milliards, selon mes estimations, un montant considérable que l’on n’avait pas vu depuis 2012», enchaîne Bruno Jacquier, directeur de la recherche chez Atlantic Financial Group, une société genevoise de services financiers. Ces interventions, qui tendent à faire progresser la valeur du franc, permettent de diminuer la taille du bilan de la banque centrale. Celui-ci avait explosé à la hausse après la crise financière de 2008, à la suite des interventions de la BNS pour apaiser le franc, justement.

«Avec ces achats de francs et la remontée de ses taux, la BNS montre qu’elle est à l’aise avec la hausse du franc, notamment car les entreprises se sont généralement adaptées. Elles mentionnent les difficultés d’approvisionnement et d’embauche de personnel qualifié comme leurs principales difficultés, et non plus la force du franc», poursuit Bruno Jacquier, qui a longtemps exercé chez Edmond de Rothschild à Genève.

L’inflation, plus basse en Suisse qu’en Europe ou aux Etats-Unis, a aussi aidé les entreprises helvétiques, détaille encore l’économiste: «En deux ans, le franc a progressé de 11,3% face à l’euro, mais dans le même temps les prix ont augmenté de 4,1% dans notre pays, contre 11,7% en Europe, soit une différence de l’ordre de 7%, qui vient se soustraire à la hausse du franc sur cette période. Ce raisonnement, basé sur la parité de pouvoir d’achat, explique que les entreprises suisses ont en réalité subi une perte de compétitivité de l’ordre de 4% seulement.» Bien moins que l’ampleur de la hausse du franc.

Néanmoins, une pause dans le renchérissement du franc d’ici à la fin de l’année serait salutaire pour les entreprises suisses, conclut Bruno Jacquier, qui s’attend à ce que l’euro vaille autour de 90 centimes à un horizon de trois ans.

Economie & Finance

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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