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«Le destin des réfugiés afghans ressemble à celui des Syriens»

STÉPHANE BUSSARD, DE RETOUR DE LA HAYE @StephaneBussard

Architecte et dessinateur, cet Afghan chiite de 36 ans n’avait aucune envie de vivre sous un nouveau régime taliban. Rencontré à La Haye, il se souvient des conditions difficiles dans lesquelles il a pu embarquer dans un avion militaire néerlandais à l’aéroport de Kaboul. Aujourd’hui, près d’Amsterdam, il reconstruit sa vie

Hossein Rezaei, 36 ans, rencontré à La Haye, s’en souvient comme si c’était hier. Des mouvements de panique, des cris, des coups de feu, des explosions. Constatant le capharnaüm que provoquaient le départ des Américains d’Afghanistan, en août 2021, et l’imminente prise de Kaboul par les talibans, cet architecte et dessinateur s’est résolu à écrire une lettre à la branche néerlandaise de Cartooning for Peace. Sans grand espoir. Puis un appel téléphonique de Katie, une collaboratrice du Ministère néerlandais des affaires étrangères lui annonçant qu’il pourrait prendre le dernier avion militaire mis à disposition par les Pays-Bas pour fuir le pays. Une lueur d’espoir dans un pays sur le point de replonger dans l’obscurantisme taliban.

Parcours du combattant

A 2h du matin, il y a un an, Hossein Rezaei s’est mis en route pour l’aéroport. «J’ai utilisé Google Map. Ce fut un vrai parcours du combattant. J’ai dû passer par des rues étroites, puis franchir trois check-points talibans. J’ai vu des gens morts devant moi. J’étais stressé. J’avais quatre heures pour trouver la délégation néerlandaise à l’aéroport. Il fallait que je trouve le «Holland Spot» près d’une tour. J’y suis finalement arrivé. Mais j’hésitais. Ma soeur ne pouvait pas m’accompagner. Je ne voulais pas la laisser sur place, mais la personne des Pays-Bas qui s’occupait de mon cas m’a dit: «C’est ta dernière chance.» Ma soeur m’a dit: «Vas-y.» J’ai présenté à un soldat un document en néerlandais qu’on m’avait envoyé. Il l’a vérifié et m’a laissé passer. Puis un pick-up nous a emmenés vers l’avion.» L’appareil s’est envolé pour Islamabad où Hossein a pris un avion civil néerlandais vers Dubaï puis Amsterdam. Il a atterri sur un aéroport militaire. «Quand je suis arrivé aux Pays-Bas, c’était comme un rêve qui mettait fin à un cauchemar. J’avais dû quitter Kaboul précipitamment.»

Le jeune Afghan a dormi tout d’abord pendant trois mois dans des tentes de six et douze personnes, puis il fut déplacé à Arnhem, près d’Amsterdam où il fut hébergé sur un bateau pour réfugiés ancré dans un canal. «Moi qui avais l’habitude de vivre dans un pays sans mer, je me trouvais à loger sur l’eau. Je sentais les vaguelettes du canal avant de m’endormir. Je pensais que c’était un début de séisme.» Dans le centre de réfugiés, il parle le persan, sa langue. Mais l’arabe domine. Il côtoie des déplacés de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan et d’ailleurs. «Les gens sont assez déprimés et pensent surtout à s’amuser. Pour ma part, je n’ai pas le choix. Je dois rebondir.»

Hossein vient d’être déplacé voici un mois. Il a désormais un petit appartement à Arnhem. Il touche quelque 12 euros par semaine et suit des cours de néerlandais ainsi que d’autres activités visant à l’intégrer dans la société hollandaise. «Avec ce qu’on m’offre ici, je me dois de réussir, insiste-t-il. Je suis heureux qu’on me donne une telle opportunité. Il faut que je la saisisse.»

«Avec ce qu’on m’offre ici, je me dois de réussir. Je suis heureux qu’on me donne une telle opportunité. Il faut que je la saisisse» HOSSEIN REZAEI, RÉFUGIÉ AFGHAN

Vie chamboulée

Sa vie a pris un tournant inattendu. En Afghanistan, avant le retour des talibans au pouvoir, Hossein avait une vie qu’il appréciait. Il vivait à Barchi, à l’ouest de Kaboul, dans le quartier de la communauté de la minorité des Hazaras dont il fait partie. Diplômé en architecture, il enseignait même à l’Université privée Avicenna et avait un bon niveau de vie. A côté de ses activités académiques, il avait aussi créé une petite société de décoration d’intérieur. La chute de Kaboul a tout changé. Chiite, il ne se sentait pas du tout en sécurité sous un nouveau régime taliban. Il a dû abandonner sa voiture et tous ses biens à l’exception d’une tablette. Sa famille a été disséminée aux quatre coins de la planète. Presque une punition divine. Sa soeur est désormais au Portugal, un frère à Vienne, un autre en Californie. Son épouse, avec laquelle il s’est marié à Machhad en Iran lors d’une brève cérémonie, n’a pas pu l’accompagner. Elle est en Australie. «Je communique avec elle par WhatsApp. Elle me garde sous contrôle, pour ainsi dire. Elle sait qu’Amsterdam est connue pour sa vie nocturne», dit-il sous le ton de la boutade tout en espérant qu’elle puisse le rejoindre dans un avenir proche.

La famille de Hossein est de Bamiyan, la ville des bouddhas dynamités par les talibans en mars 2001. Le statut de réfugié, il connaît. C’est dans son ADN. S’il a passé les neuf dernières années de sa vie en Afghanistan, il a grandi comme réfugié dans la ville sainte de Machhad, au nord-est de l’Iran. Là-bas déjà, ce fut un chemin de croix de pouvoir être scolarisé. Il est arrivé que les autorités iraniennes viennent l’extraire de l’école où il était. Mais sa mère s’est battue pour qu’il puisse, malgré tout, toujours retourner à l’école. «Dans une famille chiite et pauvre comme la nôtre, l’éducation est la seule porte de sortie», lui disait-elle. Ses parents vivent toujours à Machhad.

En Europe, il est prêt à refaire un master ou un autre diplôme si nécessaire pour aller de l’avant. Le jeune Afghan a la voix posée. Il dégage un calme étonnant, mais il ne manque pas d’ambition. En attendant de retrouver un métier plus en phase avec ses compétences, il s’est mis à faire des dessins de presse. Pour Le Temps, il a réalisé un cartoon qui illustre son état d’esprit quand il était dans l’avion quittant Kaboul: «Je voulais montrer, précise Hossein, que le destin des réfugiés afghans ressemble beaucoup à celui des Syriens. Des gens s’accrochaient aux avions américains et tombaient dans le vide. Le jeune Syrien Aylan Kurdi fut pour sa part trouvé mort sur une plage de Turquie en 2015.»

Si l’architecte et dessinateur se dit prêt à construire une nouvelle vie en Europe, il rêve secrètement de retourner un jour en Afghanistan. Il aimerait s’installer à Bamiyan pour restaurer, notamment, les bouddhas. Il adore l’art, la peinture et les belles choses. «Je suis de cette région. Je sens les plus de 2000 ans d’histoire qui suintent de ses pierres.» Pour Hossein, le passé peut être restauré. Mais pour lui, fort d’une résilience hors pair, seul compte désormais l’avenir.

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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