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Zaporijjia, «plus proche de Fukushima que de Tchernobyl»

Sur la scène internationale, la centrale ukrainienne cristallise les inquiétudes. Deux experts expliquent cependant en quoi Zaporijjia est mieux protégée des risques d’explosion que ne l’était Tchernobyl et comment sa structure la rapproche de Fukushima

CAMILLE PAGELLA @CamillePagella

«L’heure est grave.» Hier soir, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Rafaele Grossi, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a réitéré sa demande, la même depuis des semaines: que l’AIEA puisse envoyer une mission pour inspecter la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia. Vendredi, la BBC détaillait les conditions de travail alarmantes des ingénieurs ukrainiens au sein de la centrale: selon Energoatom, la compagnie nationale de production d’énergie nucléaire ukrainienne, les employés, «sans arrêt sous la menace d’une arme», sont même parfois tenus en joue par les militaires russes.

Depuis un peu moins d’une semaine, les six réacteurs de la plus grande centrale d’Europe, passée en mains russe depuis le début du mois de mars, sont au coeur de toutes les inquiétudes et sous les feux de la guerre. Kiev et Moscou s’accusent mutuellement de bombarder le site et font trembler le Vieux-Continent, n’hésitant plus à brandir le spectre de Tchernobyl. A tort ou à raison? Cinq questions pour décrypter les risques.

1 Que se passe-t-il autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia?

Le jeudi 11 août 2022, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence à New York à la demande de la Russie. Au coeur des discussions: les récents bombardements sur le site de la centrale nucléaire de Zaporijjia, située au bord du Dniepr, dans le sud de l’Ukraine, dont Kiev et Moscou s’accusent mutuellement et qui ont endommagé une partie des infrastructures. La centrale, passée sous contrôle russe au début du mois de mars, reste exploitée par Energoatom, la compagnie nationale de production d’énergie nucléaire ukrainienne. «La situation est pour l’instant stable. Mais un bombardement le week-end du 6 août a endommagé l’alimentation électrique d’un réacteur en fonctionnement, ce qui a provoqué son arrêt. C’est une mesure de sécurité: lorsque l’alimentation externe est coupée, le réacteur s’arrête automatiquement», explique Emmanuelle Galichet, maîtresse de conférences en sciences et technologies nucléaires au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) à Paris.

2 Que représente cette centrale en Ukraine et en Europe?

Zaporijjia est la plus puissante centrale nucléaire d’Europe. Elle comprend six réacteurs nucléaires VVER de 1000 MW chacun qui sont entrés en service entre 1985 et 1995. Aujourd’hui l’Ukraine, dont l’électricité est à 50% d’origine nucléaire, dispose de quinze réacteurs. «Au niveau géographique elle est aussi au coeur de l’Europe, avec à l’ouest l’Ukraine, à l’est la Russie et au sud la Crimée. Elle tient donc une position assez compliquée dans cette guerre.» Au début du mois d’août trois des six réacteurs étaient arrêtés pour maintenance. Depuis les derniers bombardements et l’arrêt d’un autre, ils ne sont plus que deux à être exploités. Energatom, qui assure être toujours en contact avec ses équipes sur place et se trouve en mesure de surveiller les radiations, a déclaré que leur niveau restait stable.

3 Existe-t-il un risque de catastrophe nucléaire à l’instar de celle de Tchernobyl?

«Avant d’être trop alarmiste, il faut savoir que la centrale de Zaporijjia n’a rien à voir avec celle de Tchernobyl, même si ce sont deux constructions russes, décrypte Emmanuelle Galichet. La centrale de Zaporijjia est de type VVER, un modèle très proche du parc nucléaire français, par exemple, et répond à toutes les normes de sûreté.» La grande différence avec Tchernobyl, c’est que le coeur du réacteur, enfermé dans un dôme en béton armé précontraint d’environ un mètre d’épaisseur, est moins exposé à un risque d’explosion lié à un bombardement. «Et à l’intérieur il y a aussi une peau métallique de protection, rajoute la chercheuse. Nous sommes donc assez loin d’un scénario à la Tchernobyl, d’autant qu’après les différentes catastrophes les responsables de la centrale de Zaporijjia ont ajouté des systèmes permettant d’éviter les explosions d’hydrogène et procurant un niveau de sûreté supplémentaire.»

4 Quel est le danger le plus important?

«Le risque zéro n’existe pas: les accidents nucléaires peuvent survenir. Ici, le plus gros risque est l’endommagement de toutes les lignes électriques externes, répond Emmanuelle Galichet. Il n’y en a qu’une hors service pour l’instant, mais il pourrait en avoir d’autres. Et si elles sont toutes coupées, tous les réacteurs s’arrêteront.» Mais le combustible restera au coeur du réacteur à l’arrêt en l’absence des fissions qui génèrent chaleur et électricité. «Le combustible, qui est radioactif, émet de la chaleur qu’on appelle la chaleur résiduelle et, pour l’évacuer, nous avons besoin d’électricité. Ne pas l’évacuer peut aboutir à une fusion du combustible nucléaire. Nous serions donc plus proches de Fukushima, où il n’y a eu ni explosion, ni nuage radioactif, que de Tchernobyl.»

5 Pourquoi l’AIEA veut-elle absolument se rendre sur place?

Depuis plusieurs semaines, l’AIEA demande aux belligérants un accès au site de la centrale. Bruno Pellaud, ex-vice-directeur adjoint de l’AIEA, explique avoir été surpris par l’attitude alarmiste de Rafaele Grossi. «Il veut attirer l’attention sur les centrales nucléaires. Ce qui déplaît énormément à l’AIEA aujourd’hui, c’est l’utilisation du site comme havre militaire et comme point de départ d’attaques.» Sur place, l’AEIA souhaiterait envoyer une équipe d’experts indépendants pour évaluer l’état de la centrale et les différents dommages liés à des bombarde

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2022-08-13T07:00:00.0000000Z

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