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Oscar Otte, figurant devenu premier rôle

Après une décennie passée dans les tournois secondaires, ce joueur atypique est devenu à 29 ans numéro 1 allemand et tête de série à Wimbledon. Oscar Otte affronte vendredi au troisième tour le jeune prodige espagnol Carlos Alcaraz, son exact contraire

LAURENT FAVRE, WIMBLEDON @LaurentFavre

tVous avez peut-être également cette manie: lire l’intégralité de la distribution qui défile lors du générique de fin d’un vieux film pour voir si de grands acteurs y ont tenu un petit rôle. C’est très rarement le cas. Stars, seconds rôles, figurants; les places sont le plus souvent distribuées bien à l’avance, et pour longtemps. Lorsqu’une nouvelle étoile apparaît, il ne lui faut que quelques occasions pour briller. C’est la même chose en tennis. Il y a différents types de joueurs, et peu de passerelles.

Il n’a fallu qu’un an à Carlos Alcaraz pour se faire une place dans le top 10. A 19 ans, l’Espagnol a tout – talent, ambition, discipline, charisme – pour prendre la suite de Rafael Nadal, Novak Djokovic et Roger Federer. Tout le contraire de son adversaire vendredi au troisième tour, l’Allemand Oscar Otte. Contrairement à ce que suggère son prénom, Otte n’avait rien pour devenir un joueur de premier plan. A 29 ans, il est pourtant tête de série à Wimbledon et numéro 1 allemand, en l’absence d’Alexander Zverev, blessé à la cheville depuis Roland-Garros.

Son grand moment sous les projecteurs, Oscar Otte semblait devoir l’avoir vécu l’an dernier. Classé 159e mondial, il sortait des qualifications pour donner la réplique à Andy Murray. Le Centre Court découvrait alors ce joueur atypique, jeu plaisant mais physique austère, corps grand et maigre surmonté d’une barbe de prof de physique-chimie. Murray avait gagné en cinq sets, Otte avait offert une belle résistance mais avait eu le bon goût de perdre. Chacun était à sa place.

La carrière d’Oscar Otte en serait restée là qu’il en aurait sans doute été satisfait. Au filet, il tint à témoigner à Andy Murray toute son admiration. «Il est une grande source d’inspiration pour beaucoup de joueurs. Lorsque j’ai vu le documentaire [Andy Murray: Resurfacing] sur son retour après son opération à la hanche, j’avais les larmes aux yeux.» Un mois plus tôt à Roland-Garros, il s’était déjà contenté d’avoir pris deux manches à Alexander Zverev, avant de perdre en cinq. «Pendant deux sets et demi, j’ai joué le meilleur tennis de toute ma vie», dirat-il, expliquant ensuite sa baisse de régime: «Avec un classement comme le mien, vous n’avez pas la possibilité de jouer souvent des matchs comme ça.»

«Accroche-toi!»

Alors que le monde du tennis était prêt à prendre congé de lui, ce jour de juin 2021 sur le Centre Court, Andy Murray lui dit un mot à l’oreille qui changea peut-être le destin d’Oscar Otte. «Accrochetoi!» lui conseilla l’Ecossais, impressionné par le potentiel de cet escogriffe (1,93 m) qui commençait enfin à domestiquer un tempérament trop fougueux et longtemps peu compatible avec un jeu qu’il décrit comme «essentiellement intuitif».

Et Oscar Otte s’est accroché. Lui qui n’avait progressé que très lentement, sans jamais faire d’éclat - – quatre saisons sur le circuit avant d’obtenir le droit de participer aux qualifications des épreuves du Grand Chelem, quatre autres années pour les passer enfin (hormis à Roland-Garros) – a continué de grappiller des places, grimpant peu mais ne redescendant plus. Début 2022, il basculait enfin dans le top 100. A sa manière: 101e durant cinq semaines, 100e la suivante et enfin «dans» le Top 100 le 17 janvier.

«J’ai attendu des années»

L’histoire s’est accélérée ce printemps. Le système est ainsi fait que plus votre nom est haut sur l’affiche et plus vous grimpez vite. Huitième de finaliste à Munich, Oscar Otte est entré dans le top 50 après sa qualification pour les demi-finales du tournoi de Stuttgart. Une télévision a alors diffusé une vidéo amateur montrant Oscar enfant disant son rêve d’être un jour dans le top 50. «Je ne sais même pas comment mon père a retrouvé ça», a-t-il commenté, très ému en se revoyant.

Après Stuttgart, Oscar Otte est passé 38e mondial, et numéro 1 allemand par intérim. «Très honnêtement, cela me semble complètement malade. Si quelqu’un m’avait dit ça, je lui aurais répondu: «Mec, qu’est-ce qui ne va pas chez toi?» avoua-t-il en conférence de presse. Le lendemain, il s’est rendu au tournoi

Halle avec sa propre voiture, sa copine et son chien.

Petit à petit, l’Allemagne du tennis s’est prise d’intérêt, puis d’affection, pour ce supporter du FC Cologne, sa ville natale. Otte, c’est le mec normal qui ne sait pas en 2021 à Wimbledon qu’il a gagné contre Rinderknech parce qu’il pense que le tie-break du cinquième set se joue à dix points, qui change de short sur le Centre Court au tour suivant contre Andy Murray parce que le sien tombe tout le temps, qui a perdu sa valise cette année en arrivant, qui cède le passage à Garbiñe Muguruza dans les escaliers d’Orange Park, un peu par politesse mais surtout parce qu’il se sent moins légitime qu’elle.

Oscar Otte ne compte aucun titre ni aucune victoire sur un top 10. A Halle, il n’était pas loin de battre le numéro 1 mondial Daniil Medvedev et de disputer sa première finale sur le circuit ATP. «J’ai eu ma chance mais il faut la saisir immédiatement, sinon c’est cuit contre ce genre de joueur», releva-t-il au micro de ZDF. Pas une once de déception dans sa voix. «C’était génial d’être ici devant tant de gens. J’avance dans la bonne direction.»

Le voici de retour à Wimbledon, où tout a basculé. «Le match contre Murray m’a convaincu que je pouvais rivaliser», a-t-il confié en début de quinzaine à la Süddeutsche Zeitung. Lors de ce fameux match, il s’était affalé dans le gazon après une chute et avait mimé de fumer un joint. Depuis, il plane. Et trouve ça cool. «J’ai attendu des années pour être dans cette situation», mesure Oscar Otte.

Andy Murray lui dit un mot à l’oreille qui changea peut-être son destin

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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